Combien de pas jusqu’à la lune ? de Carole Trébor (Albin Michel, 2019)

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Katherine Johnson a longtemps évolué dans l’ombre, mais son destin extraordinaire a été mis en lumière avec le film Les Figures de l’ombre, sorti en 2016. Rien ne prédestinait cette femme noire, née en 1918 dans l’État ségrégationniste de Virginie occidentale d’un père bûcheron et d’une mère enseignante, à devenir mathématicienne à la NASA. On pourrait même dire que tous les déterminismes sociaux, raciaux et de genre s’y opposaient.

Mais l’histoire de Katherine est tout à la fois celle d’une femme douée, passionnée et tenace, indéfectiblement soutenue par un entourage aimant, et celle d’un siècle d’avancées progressives, durement acquises face au racisme, à la ségrégation et à la misogynie. Je recommande chaudement à ceux qui ne l’auraient pas fait de lire la trilogie du siècle, de Ken Follett, qui est particulièrement instructive sur l’histoire du mouvement des droits civiques aux États-Unis. Ce n’est qu’en 1954 que la ségrégation scolaire est interdite, l’accès à l’université restant fermé aux Afro-Américains dans les États ségrégationnistes. C’est grâce à un arrêt de la Cour suprême que Katherine deviendra, au terme d’un parcours scolaire exceptionnel, la première femme noire de son État à étudier à l’université. Après des années de travail comme enseignante, elle saisit l’opportunité d’entrer à la NASA comme calculatrice et parvient à grimper les échelons, toujours grâce à ses capacités hors du commun doublées d’une volonté sans faille face aux barrières de genre et de race. C’est ainsi qu’elle jouera un rôle-clé dans la préparation de la mission Apollo 11, au cours de laquelle les premiers humains marcheront sur la lune…

C’est cette histoire incroyable que retrace cette biographie romancée (qui s’inscrit dans la collection DESTINS qui rend hommage à des personnalités marquantes comme Simone Veil, Mohamed Ali ou Marilyn Monroe). Passionnée à la fois par l’histoire des États-Unis, la cause des Afro-Américains, les recherches aérospatiales, les sciences et les difficultés qui persistent pour les femmes à s’y faire une place (je suis bien placée pour m’en rendre compte, en tant que chercheuse au CNRS), je ne pouvais pas passer à côté de cette lecture.

Au regard des attentes très fortes que j’avais à l’égard de ce livre, j’ai été un peu déçue. La destinée de Katherine Johnson gagne certes sans aucun doute à être connue. Mais j’ai perçu la façon dont elle est restituée ici comme trop linéaire, ne laissant pas suffisamment de place aux doutes, aux détours forcés de la vie de Katherine. L’issue heureuse de l’histoire est connue dès la lecture de la quatrième de couverture. J’aurais aimé trembler plus pour la jeune femme, mais je n’ai pas douté un seul instant qu’elle tracerait sa route. Les signes d’un destin exceptionnel sont présents dès ses premiers jours de bébé, et même avant, au travers de la curiosité et des capacités surprenantes de ses parents. Et j’ai eu l’impression que le personnage de Katherine manquait d’épaisseur, de failles qui la rendraient plus humaines, étant peut-être trop ramenée à ses capacités intellectuelles. L’exercice de la biographie romancée est difficile, à cet égard. Carole Trebor s’est attachée à rester près des faits, même si elle explique dans le prologue avoir projeté sa propre sensibilité sur le personnage de Katherine. Cette flamme qui vous touche, vous prend à la gorge même dans certains romans, m’a manqué, me donnant l’impression d’un propos parfois trop pédagogique. Le travail de documentation réalisé par l’autrice est impressionnant, mais j’ai trouvé que d’une certaine manière, on le sentait trop à la lecture (et c’est un détail, mais la multiplication des notes de bas de page était-elle vraiment indispensable ?).

Malgré ces réserves, j’ai passé un bon moment avec ce livre et je suis ravie d’avoir découvert la vie de Katherine Johnson. Je regarderai à la prochaine occasion Les Figures de l’ombre, curieuse de voir comment cette vie hors des sentiers battus a été transcrite au cinéma !

N’hésitez pas à écouter l’émission de la bibliothèque des ados de France Inter consacrée au roman !

Extrait : « Il lui révéla comment Icare s’était approché trop près du soleil et comment les ailes que lui avait si patiemment confectionnées son père avaient fondu, entraînant sa chute dans la mer, où le héros s’était noyé. Le message de cette histoire fit écho en elle. Elle ne parvenait pas à saisir la raison pour laquelle il lui laissait une si forte impression. Puis elle se souvint que leur mère les avait mis en garde à de multiples reprises : ‘Faites attention à ne pas vous brûler les ailes’. Elle le répétait surtout à Horace, qui rêvait d’aviation à longueur de journée. Elle insistait car, à sa connaissance, il n’y avait aucun aviateur noir. De telles aspirations pouvaient faire beaucoup de mal à son fils aîné, en l’entraînant dans des combats vains où il risquait de voir ses espoirs partir en fumée. »

Lu en novembre 2019 – Albin Michel, 15,90€

10 commentaires sur “Combien de pas jusqu’à la lune ? de Carole Trébor (Albin Michel, 2019)

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  1. d’après ce que tu écris j’ai comme l’impression que ce roman souffre de l’effet de mode qui veut que les femmes soient mises en avant partout. A force de vouloir valoriser on finit par faire des produits décevants car trop linéaire, trop didactique… merci pour la découverte;)

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    1. En fait, j’adore les livres où les femmes sont mises en avant, ce qui contribue à contrebalancer un peu les déséquilibres qui se sont cristallisés depuis toujours. Mais comme tu le dis, quand je choisis de lire un roman (plutôt qu’un essai ou un documentaire) j’aime que les messages soient transmis avec subtilité… Merci en tout cas d’être passée par ici !

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      1. Attention, j’aime aussi les textes qui valorisent les femmes mais je trouve que l’offre est énorme d’un seul coup et que certains livres sont comme « bâclés » et donnent l’impression de répondre d’avantage à une demande d’un éditeur plus qu’à un désir réel de l’auteur(e) d’écrire sur un sujet qui le/la passionne et c’est dommage. Car comme tu le dis, le secteur du livre a besoin de mettre les femmes à l’honneur; et pas uniquement pour contrebalancer les déséquilibres mais aussi parce que les femmes, au même titre que les hommes, sont des héroïnes dans leurs domaines 😉

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  2. Dans Les figures de l’ombre (que je n’ai pas vu), elles sont trois. Mary Jackson et Dorothy Vaughan, aussi mathématiciennes, ont travaillé pour la NASA.
    Je vois sur internet que Katherine Johnson a 101 ans. C’est aussi impressionnant.
    Je me contenterai de ta critique du livre, car le « trop linéaire » très peu pour moi.

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    1. Je ne sais pas trop quoi te dire, j’ai l’impression que toutes les critiques sont dithyrambiques, mais pour moi, la magie n’a pas opéré… N’hésite pas à me dire ce que ça a donné si tu décides de lui proposer ce roman !

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  3. J’ai aussi trouvé que la narration était creuse. Ça manquait en effet d’épaisseur en restant beaucoup trop factuel.
    Il faut un ouvrage plus précis pour bien connaître la femme et la mathématicienne, je pense.

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