
« Joli ? Ce n’est pas le bon mot. Ni « beau » non plus. Ils ne sont pas assez forts. Oh, c’était magnifique, vraiment magnifique ! C’est la première fois que je vois quelque chose que mon imagination ne pourrait embellir. »
Que dirait Anne, l’héroïne de ce roman, en découvrant cette couverture irisée, si délicatement travaillée à l’extérieur comme à l’intérieur, le brillant des lettres, la douceur de ces pages ? Assurément : un tel objet-livre lui inspirerait des mots grandiloquents ! L’éditeur girondin Monsieur Toussaint Louverture fait toujours fort lorsqu’il s’agit d’aller dénicher des pépites littéraires dans le monde entier et les révéler, dans un écrin toujours splendide, au public francophone. En décembre encore, nous vibrions passionnément au rythme de l’épopée des lapins de Watership Down, un coup de cœur dont nous ne nous sommes toujours pas remis. En quarantaine entre nos quatre murs ces jours-ci, nous avons vu de nouveau la magie opérer autour de ce classique canadien, et Anne Shirley illuminer notre quotidien !
Nous voici donc au Canada, sur L’Île-du-Prince-Edouard, terre rurale de vallons et de collines, de champs et de ruisseaux, de falaises et de criques. Matthew et Marilla Cuthbert décident d’accueillir un orphelin qui puisse les aider à la ferme. C’est finalement une fillette surprenante qui débarque chez eux : petite sorcière aux yeux brillants, tâches de rousseur, langue bien pendue. Et surtout, une imagination débordante qu’elle utilise comme un pouvoir lui permettant d’embellir une vie qui n’a pas été tendre avec elle. Avec une spontanéité déconcertante, Anne prend le contre-pied de toutes les attentes adressées aux enfants en cette fin de 19ème siècle : on attend d’eux docilité, piété, retenue, humilité, application dans les tâches ménagères ? La fillette est impulsive, curieuse, passionnée, ambitieuse, avide de bonheur. À rebours des préoccupations très terre-à-terre des habitants d’Avonlea, elle se pose des questions réjouissantes (« Qu’est-ce que vous préféreriez si vous aviez le choix : être divinement beau, avoir un esprit éblouissant, ou une bonté angélique ? »), s’invente des histoires, se berce de mots singuliers, d’idées plaisantes, tragiques ou extravagantes. Une imagination qui lui joue parfois des tours, mais qui va aussi de pair avec une grande capacité à comprendre les autres et une générosité sans borne.
« Âme de feu et de rosée, elle ressentait les plaisirs et les peines de la vie avec une intensité décuplée. »
On parcourt ce livre tiraillé entre l’hilarité face aux dialogues pleins de malice (on a constamment envie de prendre en note des répliques) et les émotions qui éclaboussent chaque page. La sensibilité d’Anne la rend vulnérable, mais lui permet aussi, pour le bonheur de tous, de révéler la beauté des choses : un crépuscule parfumé, un chocolat au caramel, une rose sauvage ou un poème. Quelle personnalité hors du commun ! Forcément, on brûle de découvrir ce qu’elle va devenir – nous sommes donc ravis de poursuivre avec le deuxième tome de la série qui vient de paraître.
Comme soixante millions de lecteurs avant nous, nous voilà conquis par cette ode aux mondes imaginaires. Un roman initialement paru en 1908 dans lequel se rencontrent un charme un peu désuet rappelant La petite maison dans la prairie ou Les aventures de Tom Sawyer et une façon résolument moderne de faire voler en éclat les stéréotypes de genre.
Les avis de Linda et de Tachan
PS : N’hésitez pas non plus à découvrir la série librement inspirée du roman, Anne with an E, un puissant remède à la mélancolie à savourer en famille !
Extraits
« Quelqu’un de très observateur aurait aussi noté le menton pointu et volontaire, les grands yeux vifs et pleins d’entrain, la bouche douce et expressive, le front haut et dégagé ; bref, cet observateur perspicace aurait compris que le corps de cette damoiselle égarée qui effrayait tant le timide Matthew Cuthbert ne pouvait être habité par une âme ordinaire. »
« Ils étaient corrects, vous savez, les gens de l’orphelinat. Mais il y a si peu de place pour l’imagination là-bas – on en trouve seulement dans les autres enfants. C’était vraiment intéressant d’imaginer des choses à leur sujet, que peut-être la fille assise à côté était la descendante d’un puissant suzerain et qu’elle avait été enlevée bébé par une nourrice cruelle, morte avant d’avoir avoué son crime. »
« Quand je trouve le nom qui va parfaitement, j’ai un frisson. Vous avez déjà éprouvé ça pour quelque chose ?
Matthew réfléchit.
– Euh, et bien, oui. Ça me donne toujours des frissons quand je vois ces vilains vers blancs qui larvent dans les plants de concombres. Je déteste ça. »
« Ruby est plutôt sentimentale ; elle met trop d’amour dans ses histoires, et tu sais que trop est pire que pas assez. Jane ne participe pas parce qu’elle dit qu’elle se sentirait stupide de lire à voix haute. Ses histoires sont extrêmement sensibles. Diana, elle, met beaucoup trop de meurtre dans les siennes. Elle dit que la plupart du temps, elle ne sait pas quoi faire de ses personnages, alors elle se débarrasse d’eux en les tuant. »
Lu à voix haute en mars 2021 – Monsieur Toussaint Louverture, traduction d’Hélène Charrier, 16,50€