Le Bastion des Larmes, de Abdellah Taïa (Julliard, 2024)

Six sœurs, trois frères. Dans cette société marocaine qui cloisonne largement l’existence des hommes et des femmes, c’est de ses sœurs que Youssef se sent proche. Elles forment un cercle soudé et fascinant qu’il désespère de pouvoir rejoindre.

À l’occasion d’une visite dans la ville de leur enfance, Salé, pour vendre l’appartement de leur mère, Youssef fait défiler les souvenirs : la survie douloureuse et miraculeuse d’un garçon homosexuel dans le quartier de Hay Salam sous le règne de Hassan II, son existence silencieuse dans l’ombre de celle des autres, l’amour absolu porté aux sœurs, le tiraillement entre pulsions vengeresses et tentation de pardonner, le pouvoir rédempteur des larmes.

Le fil conducteur est parfois énigmatique, mais la plume de Abdellah Taïa est vraiment singulière. Belle, évocatrice, rythmée. La narration glisse le plus souvent vers la deuxième personne lorsqu’en rêve, en pensée, lors d’une conversation téléphonique ou au détour d’une lettre, Youssef converse avec les protagonistes de son histoire. Cette manière de raconter est très vivante et immersive, nous donnant à entendre les voix de chacun et à revivre des scènes marquantes. Ainsi, j’ai plongé au cœur de la ville de Salé, écouté voisins, marchands, prostituées et imams dans un dédale de rues, de boutiques et de hammams où traditions, héritages et codes d’honneur règnent en maître.

Surtout, j’ai été percutée par la violence qui s’exerce sur les homosexuels avec l’approbation silencieuse des passants comme des proches. Et touchée par la sensibilité avec laquelle l’auteur restitue la tectonique des liens au sein de la fratrie.

Un roman dur mais sensible et révélateur.

Merci à NetGalley et à l’éditeur de m’avoir permis de découvrir ce roman avant sa parution !

Lu en août 2024 – Julliard, 21€

4 commentaires sur “Le Bastion des Larmes, de Abdellah Taïa (Julliard, 2024)

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