Le miroir d’ambre, de Philip Pullman (Gallimard Jeunesse pour la traduction française, 2001)

Will et son poignard subtil feront-ils pencher la balance dans la guerre qui se prépare ? Pour l’heure, il cherche Lyra. Leur quête sera périlleuse et même épique, digne des épisodes les plus sombres de la mythologie grecque : ils devront se rendre jusque dans le monde des morts.

« Will tendit de nouveau le poignard devant lui pour sentir ces infimes hésitations, ces interruptions dans la trame de l’atmosphère. Elles étaient beaucoup plus nombreuses qu’il ne l’imaginait. Et maintenant qu’il se contentait de les effleurer, sans éprouver le besoin de les transpercer immédiatement, il découvrait que chacune possédait une texture différente : celle-ci était dure et nettement délimitée, celle-là était plus nébuleuse, une autre était glissante, une autre fragile et cassante… »

Les deux camps qui se dessinaient dans le précédent tome se précisent. Ils s’espionnent, se mettent en ordre de bataille pour un affrontement titanesque et où chacun des nombreux personnages de la trilogie aura un rôle à jouer. Chaque bloc est lui-même divisé, à l’image de la concurrence intestine entre les milices religieuses du Conseil d’Oblation, de la Cour de Discipline Consistoriale et de l’Autorité. Pris entre ces feux, certains personnages (je ne vous dirai pas lesquels) révèlent une complexité et des dilemmes inattendus. Quant à Will et Lyra, ils grandissent à vue d’œil – et c’est joli à voir, malgré la noirceur qui règne par ailleurs.

Le Miroir d’ambre parvient à boucler une boucle pourtant follement ambitieuse, tout en donnant une densité supplémentaire (!) à l’univers de la trilogie. Quelle idée géniale par exemple que ces espions aussi minuscules que fiers, véhiculés à dos de libellule, quelle stupéfaction de plonger avec le Dr Malone dans le biotope ondulant des mulefas !

« La pénitence et l’absolution préventives étaient des doctrines inventées et développées par le Consistoire, mais ignorées de l’Église en général. Il s’agissait de faire pénitence pour un péché qui n’avait pas encore été commis, une pénitence intense et fervente, accompagnée de flagellations, ceci dans le but de constituer une réserve de crédits. Quand la pénitence avait atteint le niveau approprié à tel ou tel péché, le pénitent recevait l’absolution par avance, bien qu’il puisse ne jamais être amené à commettre ce péché. Mais il était parfois nécessaire de tuer des gens, par exemple ; dans ces cas-là, l’assassin était beaucoup plus serein s’il pouvait agir en état de grâce. »

En toile de fond, Pullman livre sa lecture humaniste toute personnelle des mythes bibliques : la genèse du monde (un « condensé de Poussière ») ; le Péché originel réinterprété sur un mode optimiste comme une salvatrice prise de conscience des choses à l’aube de l’adolescence ; la force du savoir face aux obscurantismes ; la mort comme retour de nos atomes dans le monde vivant. Une perspective qui souligne la responsabilité des humains à l’égard des dérèglements qu’ils provoquent.

Cette rencontre de la science, de la poésie et de la métaphysique a de quoi déconcerter, interroger et fasciner. De quoi faire rêver d’un miroir d’ambre qui révèlerait la beauté et la fragilité du monde. Et donner envie, comme Lyra-Parle-D’Or, de raconter des histoires.

Lu en janvier 2022 – Gallimard Jeunesse, traduction de Jean Esch, 10€

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