
Berkeley, 1968 : à l’apogée des Trente Glorieuses, l’atmosphère est joyeuse sur le campus le plus hippie des États-Unis. Pourtant, le monde pourrait être sur le point de basculer. C’est en tout cas la conclusion à laquelle arrive la petite équipe réunie par un professeur en dynamique des systèmes pour plancher sur « l’avenir du monde au XXIe siècle ». Leurs simulations sont formelles : la croissance économique et démographique conduit l’humanité tout droit à sa perte. Les jeunes chercheurs sont sous le choc. Comment poursuivre leur vie maintenant que se dessine cet horizon crépusculaire ?
« Il n’y a rien de plus monstrueux qu’une fonction exponentielle, poursuivit le maître. Or, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, nous sommes entrés dans une ère de croissance exponentielle. Mais nous ne nous en inquiétons pas, pour une raison très simple : le bon sens ne craint pas ce qu’il ne peut pas se représenter. »
Je n’aurais jamais cru qu’une histoire romancée du rapport du Club de Rome serait aussi divertissante. C’était sans compter sur la plume sarcastique et enlevée d’Abel Quentin. J’ai trouvé passionnant de m’immerger dans les réflexions stratégiques et méthodologiques de l’équipe, puis de suivre les répercussions du rapport à court, moyen et long terme. Le roman vit aussi de ses scènes plus vraies que nature – des conférences universitaires aux Rocheuses de l’Utah en passant par les négociations internes à un groupe pétrolier, la rédaction d’un magazine branché ou les stages de crudivorisme dispensés par une adepte de l’anthroposophie, on s’y croit !
Un choix judicieux a été de substituer aux véritables auteurs du rapport des personnages de papier « inventés de toutes pièces pour les besoins de la cause », comme l’explique la note liminaire. Le contrat est clair, le registre est celui du roman et il est inutile de vouloir lire Cabane comme un documentaire sur le Club de Rome. Les initiés le sauront, le fameux rapport ne fut pas rédigé à Berkeley mais au MIT, l’équipe ne comprenait pas de membre français et le couple d’après lequel le vrai rapport fut nommé s’appelait Meadows, pas Dundee. Cependant, cette lecture donne envie d’en savoir plus et les recherches effectuées révèlent l’excellente documentation du roman. Le registre romanesque permet de creuser la psychologie et les dilemmes des protagonistes, tour à tour touchants, drôles, insupportables. Et vraiment intrigants car paradigmatiques des différentes attitudes – pragmatique, intraitable, cynique – face au changement climatique. Le mystère qui entoure l’un d’entre eux, génie des maths apparemment disparu dans la circulation, finit par nourrir une enquête qui vient pimenter l’intrigue, me faisant tourner les pages plus vite encore.
Un roman impressionnant dans son ampleur qui m’a captivée, donc, mais qui n’en reste pas moins glaçant lorsqu’il pointe l’inertie effarante des sociétés humaines envers et contre des projections établies… voilà plus de cinquante ans.
Lu en septembre 2024 – Éditions de l’Observatoire, 22€
Le roman a l’air passionnant et effrayant dans la mesure où il permet de réaliser encore plus qu’on ne le fait le déni collectif ou cette terrifiante inertie autour d’un sujet qui devrait mobiliser…
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Oui, cet aspect est quand même quelque chose de fascinant – on le sait, mais on n’arrive pas à bouger. Mais il y a aussi un côté « enquête » dans le livre qui pique la curiosité et fait qu’on avale facilement les 470 pages 🙂
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wow!! 94Le Club des enfants perdus, de Rebecca Lighieri (P.O.L., 2024)
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