Aucun respect, de Emmanuelle Lambert (Stock, 2024)

Dans un récit romancé écrit à la troisième personne, Emmanuelle Lambert revient sur sa trajectoire en tant que doctorante en lettres dans le milieu parisien de l’édition et de la littérature. À l’âge où tout commence, peu familière de ce microcosme aux codes tacites où ses fonctions baignent dans un flou artistique, elle cherche sa place. Elle se cherche elle-même, sur le plan professionnel, littéraire, amoureux. Cette quête est marquée par plusieurs monstres sacrés qui peuplent ces pages, des intellectuels pleins d’aplomb, libres, transgressifs, presque ingénus dans leurs privilèges. Au premier rang de ces personnalités, le « pape du Nouveau Roman », Alain Robbe-Grillet lui-même !

« Elle était sûre qu’il était mort parce qu’on lui en avait parlé en classe comme d’une Figure-de-la-littérature-française. De ces écrivains à qui on accole volontiers l’adjectif « grand », l’air de rien, avec un frisson, pour dire qu’il y a un avant, et un après eux. »

Entre admiration, lucidité et circonspection, la protagoniste trace son chemin et traverse une sorte de mue. Une émancipation sur le fil, subtile, discrète, mais résolue. Emmanuelle Lambert mêle de manière improbable l’ironie, la malice et la délicatesse pour dire la verticalité des rapports sociaux, le vécu des jeunes femmes qui ne sont pas issues du sérail, mais aussi celui des figures de la génération qui n’a pas vu arriver Me Too :

« Lorsqu’on dit qu’on ne peut plus rien dire, peut-être croit-on sincèrement que cet accès nouveau à une parole qu’on ne peut plus ignorer, cette déchirure au cœur du silence, se sont faits sur le dos de la liberté d’expression. Qu’on ne peut plus rien dire parce que d’autres parlent. Comme s’il y avait un quota de parole publique disponible, la foule des silencieux ne pouvant s’exprimer qu’à la condition d’une réduction drastique de la parole des bavards. »

On reste donc dans un milieu minuscule et protégé, pour une lecture qui n’est pas trépidante et que l’impertinence assidûment cultivée par les personnages ne parvient pas complètement à pimenter. Mais c’est plaisant de voir cette jeune femme s’affirmer au fil des pages et intéressant de suivre ses réflexions sur la littérature, les privilèges, la sororité, le rôle des écrivains.

« La question, c’est de savoir ce qu’on fait des écrivains, à supposer qu’on doive en faire quelque chose. S’ils ne sont pas trop mauvais, il y a un moment où ils sont dépassés par leur œuvre. Ils s’entêtent, vieillissent. Ils sont lourds d’eux-mêmes, de leurs affects et de leurs erreurs. La seule chose qu’on peut faire est lire leurs livres. On les lit, ils filent en douce. Les années se déposent, les écrivains s’estompent, ils saluent leurs lecteurs depuis les rêves, les nuages, l’eau, ou ce que vous voudrez. Mais on attend d’eux qu’ils s’expriment, ils veulent s’exprimer. Peu à peu, ils deviennent prisonniers de ce tout autre chose de la littérature, qui est le bavardage. »

Lu en octobre 2024 – Stock, 20€

5 commentaires sur “Aucun respect, de Emmanuelle Lambert (Stock, 2024)

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    1. Merci beaucoup d’être passée par ici, je suis ravie si ce roman te fait envie ! L’autrice évoque ici ou là le Nouveau Roman à grands traits, mais effectivement, ce n’est pas le sujet. Je vois Aucun respect plutôt comme un roman d’initiation et d’émancipation (féminine, sociale, professionnelle) dans l’ère pre-Me Too.

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    1. En fait, c’était bizarre : je n’ai pas trouvé la lecture désagréable mais je me suis dit qu’en cette rentrée où certains titres charrient des pages d’Histoire douloureuses avec leur lot de drames et de réflexions, ce livre était un peu étroit dans son horizon et aussi peu spectaculaire dans ce qu’il relate. Mais en re-parcourant le livre et en réalisant qu’il s’agissait moins de ce qui se passe que de la manière dont cela transforme la protagoniste, j’ai vraiment apprécié l’intelligence et la justesse des réflexions.

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