Vivre vite, de Brigitte Giraud (Flammarion, 2022)

Vingt ans après l’accident de la route qui lui a ravi son mari, Brigitte Giraud ne parvient pas à cesser de ressasser l’enchaînement de circonstances à l’origine du drame. Son enquête rembobine inlassablement le fil des événements, en sonde les rouages les plus imperceptibles, décortique, une à une, chacune des séquences qui ont contribué à placer Claude sur la route au mauvais moment et sur la mauvaise machine. Les chapitres composent un récit hypnotique, tendu comme un compte à rebours. Car on sait d’emblée que l’histoire se termine mal.

« Je reviens sur la litanie des « si » qui m’a obsédée pendant toutes ces années. Et qui a fait de mon existence une réalité au conditionnel passé.
Quand aucune catastrophe ne survient, on avance sans se retourner, on fixe la ligne d’horizon, droit devant. Quand un drame surgit, on rebrousse chemin, on revient hanter les lieux, on procède à la reconstitution. On veut comprendre l’origine de chaque geste, chaque décision. On rembobine cent fois. On devient le spécialiste du cause à effet. On traque, on dissèque, on autopsie. On veut tout savoir de la nature humaine, des ressorts intimes et collectifs qui font que ce qui arrive, arrive. Sociologue, flic ou écrivain, on ne sait plus, on délire, on veut comprendre comment on devient un chiffre dans des statistiques, une virgule dans le grand tout. Alors qu’on se croyait unique et immortel. »

J’ai été touchée par le désarroi de Brigitte Giraud, son obsession des scénarios alternatifs dont la réalité a bifurqué, son impuissance à conjurer l’engrenage tragique en réécrivant l’histoire. La méthode, la précision compulsive avec laquelle procède l’autrice a quelque chose de poignant.

Je me suis attendue à ce que cet acharnement contrefactuel donne un sens aux choses, contribue à décanter des causalités, voire des responsabilités. Pourquoi est-on aussi pressé de vivre, d’acheter une maison, de déménager, de céder aux demandes de son éditeur ou de son amie ? Comment une moto jugée trop dangereuse pour être commercialisée au Japon a-t-elle pu être exportée vers l’Europe ? En réalité, les spirales de pensée qui se referment inexorablement sur Claude dessinent moins un fil conducteur qu’un entremêlement chaotique de hasards, de décisions apparemment anodines, de choix de vie et de société.

Les mots de Vivre vite retiennent aussi et surtout un temps révolu, ravivent un homme mélomane et passionné, un amour dont l’autrice peine à faire le deuil.

L’avis d’Antigone

Lu en octobre 2022 – Flammarion, 20€

2 commentaires sur “Vivre vite, de Brigitte Giraud (Flammarion, 2022)

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