Arcadie, de Emmanuelle Bayamack-Tam (POL, 2018)

La voix de Farah s’impose d’emblée – ce ton tonique et implacable d’ado dont on ne sait pas complètement s’il témoigne d’un sens de l’observation redoutable ou d’une ironie plus féroce encore. Il faut dire que la communauté de Liberty House offre à Farah un terrain propice. Ce havre en retrait du monde abrite un écosystème d’électrosensibles, intolérants aux parabènes et au gluten, antispécistes, naturistes, adeptes de l’amour libre et autres marginaux composant une galerie de figures aussi improbables que réjouissantes.

« Oui, autant s’accoutumer à ces sigles qui ont envie notre vie familiale, car en plus d’être hypersensible aux ondes électromagnétiques, ma mère est atteinte de MCS, hypersensibilité chimique multiple, et de PCIE, pneumopathie chronique idiopathique à éosinophiles – sans compter qu’elle souffre du syndrome du côlon irritable, mais à bien y regarder, tout ça n’est jamais qu’une seule et même pathologie : l’intolérance à tout. Dieu sait qu’elle ne tient pas ça de sa mère, l’insubmersible Kirsten qui, de son propre, aveu, n’a jamais connu une minute de vague à l’âme et soixante-douze ans d’existence, et ne comprend absolument pas ce qui arrive à sa Bichette. »

Chapitre après chapitre, se succèdent portraits et anecdotes incongrues, portés par une plume et une imagination hors du commun. Une intrigue se noue autour de la transformation du corps et du statut de Farah, dont la puberté voit voler en éclats sa conviction d’être une fille. Arcady, fondateur et meneur spirituel de Liberty House, joue un rôle pivot et troublant dans cette histoire. Farah est aussi une narratrice extraordinaire, d’autant plus intéressante que l’on ne sait pas si elle est fiable.

J’ai été fascinée par ces pages équivoques tour à tour drôles, tendres et impitoyables qui brouillent les repères. Qu’est-ce que Liberty House ? Un refuge protecteur des affres de la société moderne, une bulle de tendresse dans un monde de brute ? Un lieu de jouissance soustrait à la morale sociale ? Une utopie empêtrée dans ses contradictions ? Une secte ? Il faut évidemment se faire son propre avis en lisant ce roman d’apprentissage subversif et ébouriffant !

Lu en juillet 2024 – Édition poche chez Folio, 9,40€

2 commentaires sur “Arcadie, de Emmanuelle Bayamack-Tam (POL, 2018)

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