Jacaranda, de Gaël Faye (Grasset, 2024)

Huit ans après Petit Pays, le nouveau roman de Gaël Faye était l’un des plus attendus de cette rentrée littéraire. Il va sans dire que j’avais repéré de longue date sa belle couverture poétique et que j’étais sur les rangs pour le lire dès sa sortie. Jacaranda sonde les failles laissées par le génocide au Rwanda du point de vue des survivants et de leurs enfants.

« Comme elle taisait totalement ses origines, j’en arrivais presque à oublier qu’elle était née et avait grandi sous d’autres cieux. Si bien que lorsque je la surprenais en train de parler knyarwanda lors d’une conversation téléphonique et l’entendais s’exprimer couramment dans cette langue inconnue, je m’arrêtais, stupéfait. Je n’ai jamais su avec qui elle conversait. Quand je l’interrogeais, elle restait évasive, parlait de « vieilles connaissances » ou de sa « lointaine famille à Bruxelles ». Je profitais de ces appels pour l’épier. Ses attitudes, les inflexions de sa voix, le maintien de son corps, jusqu’au battement de ses mains dans l’air, en faisaient une autre personne et lui conféraient une aura mystérieuse qui me troublait profondément. Lorsque je l’observais dans cette incarnation nouvelle, une sensation fugace et désagréable me parcourait. Celle de ne rien savoir de cette personne avec qui je vivais depuis toujours. Le terrible sentiment de ne pas connaître cette femme. Ma propre mère. »

Du passé de sa mère Venancia, immigrée en France en 1973, Milan ignore tout jusqu’au printemps 1993 où le Rwanda fait subitement intrusion dans sa vie par le biais de terribles images télévisées. Sidéré autant par le mutisme de sa mère que par la violence des reportages, Milan prend conscience de la béance laissée par ce silence. Sa quête nous entraîne dans un pays que Milan va devoir apprivoiser. Chacun essaie tant bien que mal d’y rafistoler sa vie. Les uns ravalent silencieusement leurs larmes et tentent d’aller de l’avant, les autres attendent une forme de justice ou se débattent avec leur conscience. L’empreinte des traumatismes est si profonde que l’on se demande comment cette reconstruction est possible, comment ce pays est parvenu à refaire société.

Malgré ces sujets douloureux, Jacaranda se lit facilement. La narration de Milan a quelque chose de pudique, une manière de dire les choses en les mettant un peu à distance. Et puis c’est un roman tendre, porté par l’énergie et la solidarité des personnages. Impossible de ne pas s’attacher à Claude, Sartre, Rosalie et Stella !

Si j’ai trouvé certaines de ces pages un peu trop didactiques, quand les dialogues ou la rédaction de Stella donnent lieu à des chronologies du massacre, je ne peux que saluer la manière dont, par la littérature, Gaël Faye entretient cette mémoire terrible et importante. Et j’ai été sensible à ce personnage de mère inexorablement enfermée dans des souvenirs indicibles, comme aux souffrances que son attitude glaciale provoque chez Milan.

Un roman sensible et lumineux.

Merci à NetGalley et à l’éditeur de m’avoir permis de lire Jacaranda !

Lu en août 2024 – Grasset, 20,90€

10 commentaires sur “Jacaranda, de Gaël Faye (Grasset, 2024)

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  1. Il est dans ma PAL également et les nombreuses critiques déjà publiées me donnent très très envie. La tienne ne fait pas exception, il me tarde. Mais j’ai découvert Gaël Faye l’auteur tout récemment, je ne le connaissais que chanteur-poète (je suis très fan). Je pense commencer par Petit Pays de fait, que j’ai acheté à Gabrielle au début des vacances et qu’elle a vraiment aimé.

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    1. Merci pour ton passage par ici et désolée de ne répondre que maintenant (presqu’aucune connexion Internet par ici, je suis obligée de trouver un spot où ça passe pour pouvoir me connecter un peu !) N’hésite pas à lire Gaël Faye, te connaissant, je suis certaine que la plume et la vitalité de cet auteur te plairont. J’avais aussi beaucoup aimé Petit Pays.

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  2. Je suis en train de le lire (je vais sans doute le finir ce soir) et j’aime beaucoup. Il est vrai que l’histoire du Rwanda écrite par Stella est un peu didactique mais en même temps cela éclaire beaucoup sur cette haine entre les deux ethnies que sont les Hutus et les Tutsis. J’aime vraiment beaucoup comme j’avais aimé « Petit Pays ». Merci pour ta chronique qui va donner envie de le lire ! 🙂

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