Charlotte, de David Foenkinos (Gallimard, 2014)

En couverture, Charlotte Salomon nous toise gravement. Les lignes sont claires, le visage las et mélancolique, les couleurs expressives. À lui seul, cet autoportrait pique la curiosité : on mesure tout le talent de la peintre, mais on aimerait comprendre ce qui la rend si pensive.

Grâce à David Foenkinos, j’ai maintenant l’impression d’avoir connu Charlotte – ses mots nous transportent à ses côtés et on ne l’y appelle que par son prénom. Son destin enchevêtre deux histoires – l’une familiale, l’autre historique. Tragiques, toutes les deux. Dans la famille, on meurt aussi brutalement que les phrases du roman se clôturent par un point abrupt, retour à la ligne. Et Charlotte elle-même vient au monde à Berlin, au moment où l’antisémitisme dévore la société allemande, poussant progressivement les familles juives comme la sienne dans leurs derniers retranchements.

Sa biographie est donc poignante. Elle émeut en montrant comment une femme s’efforce de survivre à la folie qui l’entoure et se trouve en tant qu’artiste. Elle incarne aussi les dilemmes, déchirements et souffrances vécues par les femmes juives de sa génération.

Pas facile de se placer face à une telle mémoire ! L’écriture donne l’impression que l’auteur essaie de s’effacer : il aligne les phrases courtes conjuguées au présent, comme s’il égrenait une série de faits, fait l’économie des mots de liaison et de toute autre forme de maillage. Cette forme se lit très facilement (j’ai lu l’ensemble presque d’un seul trait) et cette sobriété a beaucoup séduit. On peut voir dans le rythme haché le souffle haletant de la jeune femme qui livre une course permanente contre la barbarie. Et puis, c’est vrai, les faits parlent d’eux-mêmes.

Mais en réalité, l’auteur n’est pas si transparent. Ici et là, on voit surgir ses interrogations, ses spéculations, son enquête sur les traces de Charlotte. Peut-être suis biaisée par ma lecture récente de l’enquête-fleuve de Grégoire Bouillier sur Claude Monnet et ses nymphéas, mais je n’ai pas trouvé que cela apportait beaucoup – l’auteur se rend sur les lieux où Charlotte a vécu et se voit alternativement fermer la porte au nez ou raconter quelques anecdotes. On reste en surface et ce roman m’a laissée sur ma faim quant à l’œuvre de Charlotte que j’aurais aimé voir traitée de manière plus approfondie (je ne vais pas manquer de me documenter).

Cela dit, il transmet la passion de l’auteur pour un personnage fascinant et son succès extraordinaire témoigne des pouvoirs de la fiction pour entretenir la mémoire de la Shoah !

Lu en novembre 2024 – Édition Poche chez Folio, 8,30€

6 commentaires sur “Charlotte, de David Foenkinos (Gallimard, 2014)

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    1. L’histoire en elle-même est indéniablement touchante. Mais c’est vrai qu’après Le syndrome de l’Orangerie, cette lecture donne l’impression de rester en surface. Je ne pense pas que ce roman soit incontournable, sauf peut-être pour découvrir le personnage de Charlotte Salomon (cela dit elle a publié sa propre autobiographie illustrée, si j’avais su j’aurais lu plutôt ça).

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