Ilaria ou la conquête de la désobéissance, de Gabriella Zalapi (Zoe, 2024)

L’histoire de ce père qui enlève sa fille à sa mère résonne avec certains faits divers. Mais ici, la cavale est racontée à hauteur d’enfant – une enfant qui voit son quotidien et ses repères voler en éclats. Direction : l’Italie des années de plomb, avec ses autoroutes, ses tunnels, ses stations-service, ses cafés et ses tubes à la radio.

Moi qui ai gardé l’âge mental d’une mouflette, je peux vous le dire : rares sont les auteurs en littérature « adulte » qui savent aussi bien se couler dans la peau d’un narrateur enfant. Les impressions d’Ilaria sont restituées au présent, dans leur immédiateté sublimée par la vivacité des expressions, mais aussi avec leur prisme particulier qui fait la part belle au jeu et à la curiosité. Surtout, la fillette étant ballottée par un père imprévisible, tour à tour abandonnée et récupérée sans aucune explication, prise en otage dans un conflit qui la dépasse, elle croit d’abord être partie quelques jours en vacances. Comme elle, nous devrons essayer de démêler la situation sur la base des bribes d’informations glanées ici et là.

« Nous vivons de profil, Papa et moi. Je connais bien la ligne de son nez, la forme ovale de ses oreilles, les poils qui dépassent de ses sourcils, juste au-dessus de la monture de ses lunettes. Je suis même capable de reconnaître ses humeurs à travers ses soupirs, ses grognements, ses gestes. »

Mais Ilaria est attentive aux choses, aux bruits, aux odeurs, aux gestes. Si elle est prise dans un conflit de loyauté inextricable dans lequel elle développe des sentiments ambivalents, s’il y a des moments de tendresse, des élans de protection envers son père, l’inconsistance de ce personnage qui passe du rire à la colère et aux confidences déplacées n’échappe pas à la petite fille. Elle note aussi la raideur de certaines postures, les détails moroses qui creusent un gouffre entre leurs planques et « la vie d’avant ».

Gabriella Zalapi décortique la manière dont le doute, la distance croissante avec les autres enfants (et les préoccupations enfantines), la sensation de danger et la conscience de n’être plus la même font naître ce qu’on appelle Eigensinn en allemand – une sorte d’instinct de préservation, de (ré)appropriation d’un espace propre qui porte en germe la possible conquête d’une liberté. La manière dont elle finit par le faire en dit beaucoup sur les marges d’un enfant livré à lui-même, je n’en dis évidemment pas plus.

« Pour élargir le récit, il faut repousser les limites, désobéir à la logique, trouver l’endroit où le corps bascule et atteint un nouvel équilibre. »

Malgré l’inquiétude que nourrit la situation, ce n’est pas un page-turner mais plutôt le récit saisissant d’une errance doublée d’un cheminement intérieur. Et une perche tendue qui nous conjure de protéger chaque parcelle d’enfance.

Lu en décembre 2024 – Zoé, 17€

6 commentaires sur “Ilaria ou la conquête de la désobéissance, de Gabriella Zalapi (Zoe, 2024)

Ajouter un commentaire

  1. Celui-ci aussi est dans ma liste… mais je pressentais qu’il faut être dans le bon état d’esprit pour l’aborder, ce que ton avis confirme. Merci pour ce retour !

    J’aime

    1. Merci Linda ! C’est vrai que la thématique n’est pas la plus joyeuse mais en même temps, ce n’est pas un roman qui en fait des tonnes : beaucoup d’ellipses, de choses rendues de manière très subtile – en fait parce que c’est l’enfant qui raconte et qu’elle ne peut pas tout réaliser. Donc malgré le sujet, cela se lit facilement.

      Aimé par 1 personne

Répondre à ladythat Annuler la réponse.

Site Web créé avec WordPress.com.

Retour en haut ↑