Badjens, de Delphine Minoui (Seuil, 2024)

La voix de la narratrice claque : celle d’une adolescente indocile qui adore ses copines, la K-pop et les friandises, une jeune fille qui – comme des milliers d’autres à son âge – voit son corps changer. Ce qui différencie Badjens, c’est qu’elle vit en Iran, un pays où les femmes sont reléguées à la sphère privée, à la portion congrue, au peu que le voile ne dissimule pas. Et cela, on le mesure à la lecture de ces pages, creuse un gouffre avec ce que l’adolescence au féminin peut signifier ailleurs.

Le roman s’ouvre sur une scène de manifestation : grimpée sur une benne à ordure, Badjens s’apprête à mettre le feu à son foulard. Exaltée par l’effervescence et le risque encouru, elle voit sa vie défiler en flash-back.

Vivent les lectures qui repoussent nos horizons et ouvrent nos yeux sur ce qui se passe sous d’autres cieux ! Celle-ci remporte un franc succès et contribuera sans doute à renforcer la conscience de la situation insoutenable des femmes iraniennes et de leurs courageuses mobilisations pour, enfin, conquérir des droits. Delphine Minoui, journaliste franco-iranienne du Figaro qui a vécu longtemps à Téhéran, raconte une génération contrainte de mener une existence dissociée parce que prise en étau entre sa soif de vivre, d’investir les possibilités que les réseaux sociaux lui révèlent, et les carcans déments déployés par les pères, les frères et le régime des mollahs.

Si je n’ai pu que sympathiser avec la rébellion de la protagoniste, j’ai eu du mal à me laisser prendre par le roman. La plume se lit facilement mais va justement un peu trop droit au but à mon goût. Et l’approche consistant à passer systématiquement en revue, à travers l’histoire de Badjens, les différentes barrières qui entravent l’existence des femmes iraniennes, m’a semblé très, trop programmatique. À cristalliser tous ces types d’oppression sans réellement présenter d’autres traits, son personnage m’a semblé manquer de consistance, j’ai eu du mal à entendre la voix d’une ado iranienne (il faut dire aussi que l’exercice du « parler jeune » est toujours un peu périlleux) et j’ai eu l’impression qu’à vouloir balayer trop d’aspects, l’autrice finissait par les traiter de manière trop superficielle. J’aurais aimé mieux saisir le contexte social et les expériences qui ont nourri le caractère rebelle et la prise de conscience de Badjens, avoir accès à ses doutes et au cheminement qui l’ont conduite à se soulever, en savoir plus sur le vécu de la mère et la grand-mère de la jeune fille.

« Ils voulaient assassiner nos rêves. Nous sommes devenus leur pire cauchemar. »

J’ai été plus emportée à partir du moment où le roman raconte le mouvement « Femme, vie, liberté ! » déclenché par la mort de Mahsa Amini en 2022, arrêtée et violentée par la police des mœurs pour un « voile mal ajusté ». À écouter la voix de Badjens, impossible de ne pas être émue par le courage des femmes iraniennes qui risquent tout pour conquérir des droits. L’évolution des parents de la narratrice face à ces luttes qui semblent prendre tout le monde de court apporte une complexité intéressante (mais qui arrive un peu tard).

Porté par une rage d’une sincérité évidente, ce roman met en lumière des luttes féminines essentielles mais sa focale en limite l’ampleur romanesque et la profondeur psychologique. Restée sur ma faim, je retournerai prochainement en Iran en lisant Lire Lolita à Téhéran, de Azar Nafisi. À suivre !

Lu en décembre 2024 – Seuil, 18€

10 commentaires sur “Badjens, de Delphine Minoui (Seuil, 2024)

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  1. Celui-ci je l’ai en réservation depuis des semaines maintenant… Très demandé en bib ! Malgré tes réserves je reste curieuse de le découvrir à mon tour 😉

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  2. Gros coup de foudre pour Azar Nafisi et j’attends La république de l’imagination qui va bientôt paraître en poche. C’est simple, après avoir Lu Lolita à Téhéran j’ai lu d’autres livres d’elle comme Lire dangereusement. J’avais lu le témoignage de Delphine Minoui, je vous écris de Téhéran et j’avais adoré. Badjens je me le suis noté quand il sortira en poche. Ce sont deux autrices que je suis assidument et qui apportent un vrai point de vue sur la situation en Iran.

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    1. oh super, je me réjouis d’autant plus de lire Lolita Téhéran (et plus si affinités !). Je n’avais pas lu Je vous écris de Téhéran donc je ne peux pas faire de comparaison avec Badjens. Je te souhaite une bonne lecture quand il sortira en poche !

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    1. Effectivement, l’autrice passe en revue 51 nuances d’oppression féminine en 160 pages, mais le problème, c’est aussi que c’est presque exclusivement au prisme du vécu d’un seul personnage et qu’il n’y a pas grand-chose autour. Après il y a des avis beaucoup plus positifs que le mien et si tu lances, tu seras vite fixée : il peut se lire en une soirée.

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