Trust, de Hernan Diaz (Éditions de l’Olivier, 2023)

Pendant les fêtes, l’équipage de L’île aux trésors a voyagé plus loin que d’habitude. Direction : New York dont nous avons joyeusement arpenté les quartiers et, bien sûr, les librairies. De ce voyage, nous avons ramené dans nos valises une pile de lectures new-yorkaises. Des romans pour doubler nos périples d’explorations fictionnelles de lieux représentatifs de diverses facettes de cette ville unique entre toutes. Pour inaugurer cette série, j’ai choisi une lecture étincelante pour laquelle j’ai eu un vrai coup de foudre : Trust de Hernan Diaz.

Direction le quartier financier, au sud de l’île de Manhattan où se trouve le cœur historique de la ville de New York – c’est là que les premiers colons (hollandais) se sont installés puis qu’à la fin du 18e siècle fut fondée la place boursière au 68 Wall Street. Les rues pavées bordées de buildings historiques et des maisons en briques typiques du quartier voyaient se croiser hommes d’affaire en costume-cravate et touristes. Ces derniers se bousculaient pour se faire photographier près de la célèbre statue du charging bull, de préférence en se saisissant de ses testicules – laissant mes deux moussaillons incrédules et atterrés : « vraiment cringe ». Nous avons préféré immortaliser The fearless girl, installée face à la bourse, qui surveille les activités financières et l’évolution des différences de traitement entre hommes et femmes.

Source de la carte : Open Street Map (Open database licence)

« Je suis un financier dans une ville dominée par des financiers. Mon père était un financier dans une ville dominée par des industriels. Son père était un financier dans une ville dominée par des marchands. Son père était un financier dans une société soudée, indolente et moralisatrice, comme la plupart des aristocraties provinciales. Ces quatre villes n’ont qu’un seul et même nom : New York. »

Difficile de trouver un roman qui résonne plus puissamment avec ces lieux que Trust, ancré dans le quartier financier des années folles (qui n’ont jamais aussi bien porté leur nom). Au cœur du propos, un couple parmi les plus prospères au moment où la finance et la spéculation s’emballaient : il est un magnat incontournable de Wall Street, elle une intellectuelle issue d’une lignée d’aristocrates néerlandais. Leur fortune colossale qui semble enfler envers et contre tout fait couler beaucoup d’encre : d’où vient-elle et qu’est-ce que cela dit d’eux ?

J’ai adoré m’infiltrer parmi les élites new-yorkaises de l’époque, fréquenter les salons, observer le fonctionnement de la finance dans une phase historique cruciale et entrer dans la psychologie des personnages.

Ce roman se distingue avant tout par une construction époustouflante, misant sur la juxtaposition de quatre récits dont le positionnement et l’articulation ne s’élucident qu’au fil de la lecture. C’est magistral. Chacune des voix s’impose d’emblée avec son rythme, son flux, sa perspective, sa texture masculine ou féminine – flamboyante, féroce, sûre d’elle, investigative, politisée ou tranchante –, son registre – roman, témoignage, mémoires, journal. À la manière d’un kaléidoscope, la succession des récits décale la focale, met en lumière des éléments différents, recompose les motifs, donne de la profondeur et provoque le doute : mais qui sont les protagonistes, quels sont les ressorts de leur réussite et quelle est la nature de leur association ? Sans aucun des ingrédients d’une structure narrative classique, l’auteur m’a fait brûler de parcourir les éléments présentés dans l’espoir d’approcher enfin la vérité : je n’ai fait qu’une bouchée de ces 400 pages. Et je suis presque tombée de ma chaise en découvrant le fin mot de l’histoire.

J’ai été si intéressée par la réflexion du roman sur les ressorts de l’accumulation que je me suis demandée comment il était possible que ce sujet soit resté aussi peu traité en littérature. Outre la technicité des opérations financières, il faut peut-être y voir l’effet des vernis narratifs qui font des affaires une question d’intelligence, de « beauté mathématique », d’audace et de ruissellement. C’est précisément la construction de ces récits et des manières dont les rapports de genre et de classe les distordent que le procédé narratif permet d’interroger. Étourdissant !

Lu en décembre 2024 – Édition originale en américain, Picador

11 commentaires sur “Trust, de Hernan Diaz (Éditions de l’Olivier, 2023)

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  1. La finance n’est pas mon truc, mais tu es tellement enthousiaste et très douée pour nous « vendre » ce livre que je me le note… Cool pour les vacances en famille à NY ! 🙂 merci pour ta chronique

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    1. Merci beaucoup, cela me touche beaucoup ! En fait cela me frappe de lire combien de commentaires (ici et sur Babelio) disent que le sujet de la finance les repousse… Bon je comprends qu’on n’ait pas envie de se farcir quelque chose de très technique, mais en fait, vu le poids que ça a, cela m’interroge. Et bien je pense que ce roman offre une piste pour comprendre la manière dont les financiers construisent des récits qui font de la finance soit un non-problème, soit quelque chose qui concerne les initiés. J’espère donc qu’il sera lu par un maximum personnes 🙂

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