Lu en août 2017
Les enfants ont exhumé ce petit roman de la bibliothèque familiale, attirés par sa couverture bariolée et un titre accrocheur. J’ai été loin d’être convaincue.
Les enfants de l’île de la Délivrance mènent une vie morose jusqu’au jour où l’ensemble des adultes de l’île embarque pour venir en aide aux habitants d’une île voisine. Ne reste sur place qu’un seul adulte, leur affreux instituteur qui fait régner une véritable terreur à l’école. Constatant que les parents ne rentrent pas, les gamins décident de s’émanciper radicalement de la domination des adultes et se débarrassent de ce dernier spécimen. Sous l’égide du charismatique Ari Chance, ils entreprennent alors de construire une société d’enfants à vie qui se peignent des vêtements fantaisistes sur le corps, jouent perpétuellement, vivent dans une liberté complète, abolissent le temps et l’écriture (remplacée par des rébus) et tournent en dérision toutes les institutions adultes, comme l’école ou le mariage.
L’intrigue de base est intéressante et pourrait être celle d’un roman de Roald Dahl. Imaginons qu’un groupe d’enfants soumis à des adultes antipathiques parvienne à s’extraire définitivement de leur tyrannie : que feraient-ils et que deviendraient-ils ? Le livre est, en revanche, extrêmement décevant au regard de ce qui aurait pu être tissé à partir de cette expérience pleine de potentialités. L’histoire aurait été plus riche si les adultes (et leurs tenants) n’avaient pas été aussi caricaturaux : les enfants de nos sociétés pourraient aspirer à s’émanciper de l’ordre adulte sans qu’il soit nécessaire pour cela qu’ils aient affaire à des tyrans psychopathes ! L’intrigue aurait alors été plus complexe et les décisions des enfants de la Délivrance moins faciles à prendre. La grande déception vient véritablement de leur échec à faire voler en état l’ordre adulte. À sans cesse vouloir prendre le contre-pied de leurs aînés, les enfants du roman semblent obsédés par les adultes et conservent finalement l’essentiel : ils se débarrassent du joug de leurs parents pour se soumettre aveuglément à un leader charismatique assorti de « rapporteurs » qui traquent les comportements raisonnables ; leurs rapports sociaux sont genrés à l’extrême, avec des filles cantonnées aux cimes des arbres attendant que les garçons finissent de guerroyer et entreprennent de les séduire ; les jeux tournent autour des métiers, du maintien de l’ordre enfantin et du mariage (à l’Eglise !) ; la cohésion du groupe émerge de la contrainte, du mépris des outsiders et de symboles patriotiques comme la Marseillaise à peine réécrite.
Au final, on ne parvient pas à croire à cette société d’enfants faussement naïfs qui ne semblent pas authentiques et dont on sent à chaque page que les idées sont en fait celles d’un adulte. De véritables enfants jouiraient de leur liberté de façon innocente et intuitive et… ne passeraient pas autant de temps à se préoccuper des adultes. Par exemple, les bambins qui jouent au Papa et à la Maman n’auraient jamais l’idée de mimer le patriarche qui ignore sa compagne et ses attentions, ce n’est tout simplement pas du ressort de leurs préoccupations – et c’est très bien comme cela.
Si l’intrigue vous dit, lisez plutôt Sa Majesté des Mouches ou même Peter Pan ; les potentialités de l’île déserte pour une bande d’enfants en quête d’aventures ne sont pas du tout exploitées, autant se rabattre sur Robinson Crusoé ; et si vous aimez les néologismes, privilégiez Le Bon Gros Géant de Roald Dahl, ceux des enfants de la Délivrance, combinés de façon peu crédible à l’usage de termes soutenus, sont lourds et agaçants.
Je ne conseillerais donc vraiment pas la lecture des Coloriés, dont je n’ai vraiment apprécié que les illustrations chatoyantes. En revanche, nos garçons se sont laissés prendre par l’histoire que nous avons donc lue jusqu’à la fin. Le livre leur a clairement plus plu qu’à nous.
Extrait
« Exalté et persuasif, Ari ne cessait de sermonner ses partisans. Il leur rappelait avec foi la nécessité de rompre avec les valeurs malsaines auxquelles les adultes ont l’air de tenir : le travail, le respect maniaque des habitudes et la manie de taire ce que l’on éprouve vraiment. Pourquoi les grands avaient-ils l’obsession d’être conséquents, alors que c’est si drôle de ne pas l’être ? Et le souci de ne pas trop gigoter. »