Le livre de la jungle, de Rudyard Kipling (1884 pour la version originale en anglais, 1899 pour la première traduction française)

Lu en janvier 2018

Le livre de la jungle est considéré comme un classique de littérature jeunesse – peut-être en raison de l’âge de son protagoniste et de la renommée des adaptations cinématographiques proposées par Disney. Il s’agit en réalité d’un texte subtil autour duquel petits et grands peuvent se retrouver avec plaisir, ce que nous avons fait en lisant à voix haute la première partie consacrée aux aventures de Mowgli. Nous avons ainsi (re-)découvert « l’histoire de Mowgli », dont nous avons apprécié le cadre dépaysant, la belle écriture et les dilemmes.

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Avant tout, et nous le savions déjà pour apprécier notre magnifique album illustré des Histoires comme ça (lues et relues !), Rudyard Kipling est un grand conteur. Nous avons été captivés par les péripéties de la jungle dès les premières pages. L’histoire de Mowgli est archi-connue : enfant-loup initié à la loi de la jungle par l’ours Baloo et la panthère Bagheera, il est contraint de rejoindre un village humain pour échapper à la vengeance du tigre Shere Kahn mais peine à trouver sa place et à s’identifier aux humains comme aux animaux.

Le livre de la Jungle pose plusieurs questions fascinantes pour les enfants comme pour les adultes, en particulier celle de l’identité de ceux qui évoluent à la frontière entre plusieurs groupes : est-il possible d’appartenir et de se montrer loyal envers deux mondes ? Kipling examine aussi la question des fondements de la société et de ses liens avec les individus qui la composent. Il semble promouvoir un contrat social à la Thomas Hobbes : dans le monde de tous les dangers que représente la vie sauvage, tous ont intérêt à accepter un ordre politique et moral, sous l’autorité d’un « bon chef » comme celui qu’incarne le loup Akela dans l’histoire. La fameuse « loi de la jungle » enseignée par Baloo ne correspond pas au sens commun de « loi du plus fort », mais presque à son contraire : code d’honneur et ensemble de règles et de valeurs, elle réprime les comportements asociaux (s’en prendre aux petits), définit les modalités de règlement des conflits et régit la répartition du gibier et des territoires de chasse. Cette justification de l’autorité bienveillante se retrouve lorsque Mowgli se fait corriger de façon assez musclée par Baloo qui exige qu’il maîtrise ces lois sur le bout des doigts. Cette méthode éducative brutale est présentée comme une marque de l’attachement de l’ours au garçon, dont la sécurité passe avant tout… La morale du livre est donc assez différente des exhortations du film à l’hédonisme et aux plaisirs simples ! Aux animaux fiables et disciplinés appliquant la loi de la jungle sont opposés les hommes, superstitieux et ignorant tout du monde sauvage, mais surtout les singes, le chacal et le tigre, imprévisibles, impulsifs, versatiles, soumis à leurs pulsions et à leurs désirs immédiats et incapables de reconnaître l’autorité.

Que l’on partage ou non cette vision de la société, ces questions sont absolument passionnantes et le récit est moins manichéen qu’à première vue – ou que dans le film. Les personnages sont complexes et travaillés par leurs dilemmes, à l’image de Mowgli qui reste tiraillé jusqu’à la fin entre sa condition humaine et son attachement aux peuples de la « jungle ». Le garçon est également partagé dans son rapport à l’ordre et à l’autorité, parfois tenté de rejoindre les singes et leur anarchie. Vif, tenace, intelligent et sûr de lui, Mowgli se montre souvent dominateur, voire violent et vengeur contre ceux qui l’ont menacé ou trahi. Le serpent Kaa, hypnotique, est lui aussi très différent que dans sa version Disney. Quant à Baloo, le savant instructeur féru de droit, il a tant de remords d’avoir corrigé Mowgli qu’il me semble que le message transmis prend là encore la forme d’un point d’interrogation.

Les enfants ont été happés par le récit qui se lit très vite et facilement, en dépit d’une organisation du récit un peu perturbante pour eux car ne suivant pas l’ordre chronologique des péripéties. Cette lecture a donné lieu à de vifs débats sur les grandes questions posées par Rudyard Kipling. Antoine et Hugo ont, en outre, beaucoup apprécié les vers des chants qui ponctuent Le livre de la jungle. Cette lecture n’est pas adaptée pour des enfants trop jeunes : d’abord parce que le style est un peu exigeant, ensuite parce que l’histoire est terrible et parfois violente. La jungle est vraiment inquiétante et j’ai été surprise de ne pas retrouver du tout le décor féérique des films, ni le rêve d’une vie sauvage en harmonie avec des animaux majestueux.

Extraits

« Alors commença leur fuite, et la fuite du Peuple Singe au travers de la patrie des arbres est une chose que personne ne décrira jamais. Ils y ont leurs routes régulières et leurs chemins de traverse, des côtes et des descentes, tous tracés à cinquante, soixante et cents pieds au-dessus du sol, et par lesquels ils voyagent, même la nuit, s’il le faut. Deux des singes les plus forts avaient empoigné Mowgli sous les bras et volaient à travers les cimes des arbres par bonds de vingt pieds à la fois. Seuls, ils auraient avancé deux fois plus vite, mais le poids de l’enfant les retardait. Tout mal à l’aise et pris de vertige qu’il se sentît, Mowgli ne pouvait s’empêcher de jouir de cette course furieuse ; mais il frissonna d’apercevoir par éclairs le sol si loin au-dessous de lui ; et les chocs et les secousses terribles, ua bout de chaque saut qui le balançait à travers le vide, lui mettaient le cœur entre les dents. Son escorte s’élançait avec lui vers le sommet d’un arbre jusqu’à ce qu’il sentît les extrêmes petites branches craquer et plier sous leur poids ; puis, avec un han guttural, ils se jetaient, décrivaient dans l’air une courbe descendante et se recevaient suspendus par les mains et par les pieds, aux branches basses de l’arbre voisin.
Parfois, il découvrait des milles et des milles de calme jungle verte, de même qu’un homme au sommet d’un mât plonge à des lieues dans l’horizon de la mer ; puis, les branches et les feuilles lui cinglaient le visage, et, tout de suite après, ses deux gardes et lui descendaient presque à toucher terre de nouveau. »

« Alors vint Kaa, tout droit, très vite, avec la hâte de tuer. La puissance de combat d’un python réside dans le choc de sa tête appuyée de toute la force et de tout le poids de son corps. Si vous pouvez imaginer une lance, ou un bélier, ou un marteau lourd d’à peu près une demi-tonne, conduit et habité par une volonté froide et calme, vous pouvez grossièrement vous figurer à quoi ressemblait Kaa dans le combat. Un python de quatre ou cinq pieds peut renverser un homme s’il le frappe en pleine poitrine ; or, Kaa, vous le savez, avait trente pieds de long. »

«  – Ô Akela ! Conduis-nous de nouveau. Ô Toi, Petit d’Homme ! Conduis-nous aussi : nous en avons assez de vivre sans lois, et nous voulons redevenir le Peuple Libre.

– Non, ronronna Bagheera, cela ne se peut pas. Et si, repus, la folie va vous reprendre ? Ce n’est pas pour rien que vous êtes appelés le Peuple Libre. Vous avez lutté pour la liberté, elle vous appartient. Mangez-la, ô loups ! »

Folio Junior, 6,56€

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