Lu à haute voix en août 2018
Qui ne connaît pas Moby Dick – cette baleine blanche monstrueuse, légendaire, terreur des baleiniers et obsession du capitaine Achab qui lui a juré vengeance ? Cela faisait un moment que j’avais envie de faire découvrir ce roman de Herman Melville aux garçons. Je me disais que cette lecture nous permettrait de poursuivre nos voyages littéraires (après Le Royaume de Kensuké, L’île au Trésor et Robinson Crusoé notamment), mais aussi que Moby Dick était susceptible de plaire à nos petits amateurs de mythologie grecque… L’œuvre de Melville a fait l’objet d’innombrables lectures, recensions et interprétations qui se sont intéressées, en particulier, à sa portée métaphorique, aux références bibliques et au texte comme parabole chargée de thèmes universels. De façon plus modeste, je me permets de partager ici notre expérience de lecture familiale.
L’histoire est célèbre : Ismaël embarque sur le terrible Pequod, baleinier commandé par le capitaine Achab, pour une campagne de pêche à la baleine. L’équipage découvre rapidement que l’expédition est en réalité une croisade insensée, à la poursuite de Moby Dick.
Même en version abrégée (j’ai pour principe de ne lire aux enfants que des livres en texte intégral mais une fois n’est pas coutume, j’ai acheté par erreur cette version chez Poche Jeunesse), la lecture de Moby Dick est ardue : monument littéraire chargé de poésie, longues phrases et récit entrecoupé de descriptions extrêmement détaillées du travail des baleiniers que l’on voit traquer, harponner, remorquer et découper des cétacés démesurés… Herman Melville, qui avait vécu plusieurs années à bord d’un baleinier, connaît son affaire et documente ce forme de pêche ahurissante de manière très précise et avec force termes techniques.
Malgré ce caractère exigeant, le roman nous a captivés de bout en bout. L’auteur fait la preuve de son talent de conteur dès les premiers chapitres. L’affrontement conduisant au drame est inéluctable et la tension s’accumule au fil des pages, jusqu’à nous rendre presque aussi fous, anxieux et obsédés par Moby Dick que le capitaine Achab – Antoine, qui s’est demandé en cours de route si le redoutable cachalot existait en dehors de l’imagination des baleiniers, a remarqué qu’en s’inspirant de Samuel Beckett, on aurait pu intituler le roman En attendant Moby Dick ! C’est précisément grâce à cette tension dramatique, et en riant de notre propre exaspération, nous comparant entre nous à l’irascible Achab, que nous sommes parvenus à persévérer et à traverser toutes les mers du monde à bord du Péquod jusqu’au désastre final. Nous avons refermé Moby Dick sonnés, avec l’impression d’avoir passé un bon bout de temps au large : difficile de s’extraire d’un tel roman ! Les garçons, qui ont spontanément éprouvé de l’empathie pour la majestueuse baleine blanche, ont finalement beaucoup apprécié cette lecture qui leur a fait très forte impression.
Un livre incontournable pour les lecteurs déjà grands, à découvrir avec un globe terrestre sous la main…
Extraits
« Sa proue vénérable semblait prolongée d’une barbe. Ses mâts étaient raides comme des colonnes vertébrales de statues. Ses ponts usés s’ornaient de maintes craquelures inquiétantes. Mais ce n’était pas tout : le Pequod, depuis un siècle qu’il écumait les océans, avait été surchargé, par ses commandants successifs, de dessins et d’accessoires qui lui donnaient l’aspect d’un bouclier ancien ou d’une sorte de trophée mouvant. C’est ainsi que ses bastingages, dans lesquels on avait planté des dents aiguës de cachalots, avaient l’air de deux monstrueuses mâchoires, et que sa barre, ô stupeur ! était constituée non d’une solide pièce de bois, mais d’une mâchoire inférieure de cachalot, d’une blancheur éblouissante ! Noble navire en vérité ! Cependant, comme toutes les choses nobles, il dégageait une pesante tristesse. »
« – Écoute-moi bien : avant de signer ton engagement, va donc jeter un coup d’œil sur le capitaine Achab. Il te faudra deux secondes pour constater qu’il n’a plus qu’une jambe.
– Dois-je comprendre, balbutiai-je, que l’autre lui a été enlevée par… par une baleine ?
– Tu l’as dit, mon gars ! Mais enlevée est un mot un peu faible. C’est arrachée, broyée, écrabouillée, qu’il faut dire, et par le monstrueux cétacé – baleine ou cachalot, pour nous, c’est du pareil au même – qui ait jamais éventré une chaloupe ! Comprends-tu, maintenant ? »
« Et maintenant, jurez : que Dieu nous anéantisse tous si nous ne poursuivons pas Moby Dick jusqu’aux confins de l’univers ! Mort à Moby Dick ! »
Livre de Poche Jeunesse, texte abrégé, 4,95€