Aristote et Dante découvrent les Secrets de l’Univers, de Benjamin Alire Saenz (PKJ, 2015)

Aristote et Dante

Grâce à Pepita et à son merveilleux Swap d’anniversaire, j’ai eu le plaisir de découvrir ce week-end ce très joli roman – 444 pages dévorées en une fois, force est de constater que je me suis laissée emporter !

Benjamin Alire Saenz évoque l’âge de l’adolescence avec beaucoup de justesse, à travers les expériences initiatiques, les questionnements métaphysiques et les échanges des bien-nommés Ari et Dante, 15 ans. Les deux garçons sont différents – l’un ordonné, tourmenté et introverti, l’autre plus sûr de lui et optimiste, maniant aussi bien le verbe que l’ironie. Mais ne dit-on pas que les contraires s’attirent ? Et en y regardant plus près, Ari et Dante partagent aussi énormément : le goût de la discussion, l’amour du désert aux confins entre les Etats-Unis et le Mexique et surtout un sentiment de différence et d’altérité – vis-à-vis de la communauté des Mexicains d’El Paso, mais aussi des autres Américains, de leur génération, de la gent masculine et, à certains égards, des membres de leur famille. Face aux normes sociales, aux écueils de la déviance, au poids des non-dits familiaux et des attentes parentales, la relation très forte qui se noue entre Ari et Dante se révèle cruciale dans leur quête de sens et d’identité. Une quête douloureuse et laborieuse, tant il est difficile de s’accepter, de s’affirmer et de trouver sa place lorsque l’on se sent différent…

Ce roman m’a beaucoup touchée en restituant avec sensibilité le mélange d’audace, de curiosité, de réflexivité et de vulnérabilité qui caractérise l’adolescence. En tant que parent, même si mes enfants sont plus jeunes que les protagonistes, j’ai été particulièrement émue par les parents d’Ari et de Dante qui peuvent être maladroits et aux prises avec leurs propres tourments, mais brillent par leur humanité, leur ouverture, leur bienveillance et leur tendresse constantes. Si certains passages sont durs, le livre s’achève sur une tonalité optimiste et pleine d’ondes positives.

Une lecture importante pour les adolescents et leurs parents. Pour la profondeur de ce roman, l’intensité de son écriture et pour un message de tolérance qu’il est urgent de porter !

N’hésitez pas à lire également les avis de Pepita, d’Alice et de Linda !

Extraits

« J’étais donc le fils d’un homme qui portait tout le Vietnam en lui. J’avais de quoi m’apitoyer sur mon sort. Et avoir quinze ans n’aidait pas. Parfois je me disais qu’avoir quinze ans était la pire tragédie qui soit. »

« Dante était un professeur précis et un nageur accompli. Pour lui, la natation était un mode de vie. L’eau était un élément qu’il aimait et respectait. Il en comprenait la beauté et les dangers. Il avait quinze ans. Il avait l’air un peu fragile, mais ne l’était pas. Il était discipliné, fort, cultivé, drôle et ne faisait pas semblant d’être idiot ou normal. Il n’était ni l’un ni l’autre. »

« Mon père feuilletait le livre.
À l’évidence, il lui plaisait énormément. Et, grâce à cet ouvrage, j’ai appris quelque chose sur lui. Avant de s’enrôler dans l’armée, il avait fait des études d’arts plastiques. Cela ne correspondait pas à l’idée que je me faisais de lui, mais cette information m’a plu.
Un soir, il m’a appelé.
– Regarde, a-t-il dit en désignant une page. C’est une fresque d’un peintre qui s’appelait Orozco.
J’ai fixé la reproduction, mais j’étais plus intéressé par son doigt qui tapotait sur le livre en signe d’admiration. Ce doit avait appuyé sur la gâchette d’un fusil pendant la guerre. Ce doigt avait caressé ma mère d’une façon qui m’échappait. Je voulais dire quelque chose, poser des questions. Mais les mots sont restés coincés dans ma bouche. Je me suis contenté de hocher la tête.
Je n’avais jamais imaginé mon père s’intéressant à l’art. Je le voyais comme un ancien Marine, devenu postier après la guerre du Vietnam, et qui n’aimait pas beaucoup parler.
J’aurais pu lui poser des questions, mais quelque chose dans ses yeux, son visage et son sourire en coin m’en a empêché. Je crois qu’au fond il ne voulait pas que je sache qui il était. Je me contentais donc de collecter des indices. Le voir lire ce livre en était un de plus. Un jour, tous les indices formeraient un tout et je percerais le mystère qui entourait mon père. »

Pocket Jeunesse, édition Poche de 2018, 7,90€

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