
Banlieue parisienne de Bondy, Seine-Saint-Denis, 7h30 : ce carrefour cerné entre autoroute, route nationale et canal où affluent les foules sur le chemin du lycée, du travail ou d’autres activités diverses, est d’emblée sous haute tension. Les perspectives du lycéen, de la prof de français et du poète parisien qui arrive pour donner des ateliers d’écriture composent un kaléidoscope dont la mise au point révèle une situation hautement inflammable où les intrigues de cour d’école peuvent à tout moment faire précipiter les tensions sociales. La moindre étincelle pourrait mettre le feu aux poudres, par exemple ce type gonflé à bloc pris à partie par un élève du lycée voisin…
« Tu ne peux pas t’écraser, ici, sinon tout le monde te marche dessus. »
Les descriptions sont très fortes et sonnent juste : le décor de béton, d’entrepôts, de carcasses de bagnoles, de poubelles et de bidonvilles ; les immeubles désignés par des lettres de l’alphabet ; le bruit assommant qui résonne dans les bâtiments du lycée ; le système scolaire aberrant qui se dessine au fil des conversations entre les profs et l’intervenant qui semble découvrir une sorte de quatrième dimension ; les stratégies des uns et des autres pour naviguer cette jungle. On pourrait voir ce roman comme une longue et édifiante description, portée par une plume vive et des punchlines qui claquent.
Et pourtant, la tension narrative est là, tant les équilibres semblent précaires, tant on perçoit la friction des forces qui s’opposent sur la véritable ligne de faille qui traverse le quartier, risquant à tout moment de provoquer un séisme. La tension est encore alimentée par les heures qui s’égrènent au fil des chapitres, donnant l’impression d’un compte à rebours.
« Il y a toujours un moment un peu miraculeux quand ça arrive, quand on est là pour le voir. Le canal est blanc comme un linceul, ciel voilé, deuil qui se traîne, de plus en plus clair, embrumé, laiteux, un ciel à croire qu’il va neiger, et puis le soleil apparaît. Il déchire les nuages, ceux de l’horizon, il les disperse, il les brûle comme une flamme brillante de soudeur qui transpercerait du coton, et le ciel autour s’enflamme, ça ne dure peut-être que dix ou quinze minutes, le vent se lève avec le jour et le ciel devient rose et jaune comme une carte postale, comme s’il n’y avait jamais eu de nuages. Le soleil ouvre le ciel comme un voile. Laisse passer les anges. On voit aussi ça, ici.
À Bondy, il y a du ciel. »
Et puis il y a le ciel au-dessus de Bondy, l’humanité des personnages, les gamins, les mères, les profs qui font ce qu’ils peuvent, le sursaut vécu par l’écrivain saisi par ce qu’il découvre. On a envie de croire au sens de l’éducation, aux perspectives que peuvent ouvrir les savoirs et la culture, à la possibilité du bonheur. Et parce qu’on s’y accroche, les enjeux de l’intrigue sont démultipliés.
Alors il y a de petites choses qui m’ont titillée, comme la répétition de certains motifs – par exemple le jean de l’écrivain qui tire-bouchonne sur ses bottines ou le rouge à lèvres de la prof. Il reste que ce texte d’une telle densité descriptive mais pourtant si addictif est vraiment inhabituel. Avec une grande finesse, il pointe l’absurdité irresponsable des politiques qui ont contribué depuis des décennies à faire des banlieues un territoire inflammable tout en sublimant les éclairs d’espoir et de beauté qui subsistent dans ce contexte si noir.
Lu en février 2024 – Flammarion, 21,50€
Un texte qui a l’air d’être aussi fort que réaliste…
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