Comment jouir de la lecture ? de Clémentine Beauvais (La Martinière, 2024)

Clémentine Beauvais m’en a convaincue, la lecture, c’est un peu comme le sexe. Pour se saisir de ce qui donne du plaisir, il faut d’abord travailler : déconstruire les inclinaisons qui nous semblent évidentes et naturelles, prendre conscience de ce qui les conditionne et de ce qu’on manque à cause de cela, expérimenter, échanger, réfléchir et identifier ce qui nous fait vraiment prendre notre pied.

« Ce que je vais vous dire peut se résumer ainsi : les plaisirs planplan, poussiéreux et platement personnels que nous grapillons sans faire exprès quand nous lisons ne devraietn plus nous contenter.
Pour la lecture, comme pour le sexe, il faut imaginer une éducation à la jouissance.
Mais comment ?
Et par où commencer ? »

Avec la malice et l’intelligence qu’on lui connaît, l’autrice révèle ce dont on se prive en naturalisant ses goûts de lecture personnels et en ne se mettant pas activement en quête de ce qui nous réjouit. Elle déconstruit les discours dominants sur ce qui fait une bonne lecture et nous invite à interroger ce que provoquent nos lectures, en débattre avec d’autres lecteurs, prendre conscience du type de plaisirs que nous y cherchons, persévérer pour mieux en apprivoiser d’autres moins évidents de prime abord.

J’ai adoré la manière dont ce manifeste évoque les mille et une manières dont un texte peut nous extasier. Beaucoup m’ont parlé et rappelé de mémorables moments de lecture, d’autres m’ont donné envie de lire plus et mieux.

« Complétons avec les théoriciens Perry Nodelman et Mavis Reimer, qui fournissent aux profs une liste vertigineuse des plaisirs de lecture à étudier en classe (oui oui) : plaisir sonore et sensoriel, plaisir de voir ses émotions reflétées, plaisir d’utiliser un répertoire de connaissances et de stratégies pour élucider un texte, d’identifier des trous dans ce répertoire et de chercher à les combler, plaisir des images mentales, plaisir d’une bonne histoire, plaisir d’une structure solide, plaisir d’anticiper des péripéties, plaisir de comprendre, de découvrir une autre époque, une autre culture, plaisir de reconnaître genre et formes, plaisir d’être surpris, plaisir de déjouer les ruses des textes, plaisir de constater que les textes se trompent parfois sur eux-mêmes… »

Vous l’aurez compris, ces pages composent un réjouissant programme. Mais cela va plus loin que ce à quoi je m’y attendais – et c’est là qu’on glisse vers un terrain plus politique. Il ne s’agit pas (que) d’une quête hédoniste individuelle. D’une part, on comprend que l’initiation au plaisir de lire est un enjeu d’éducation qui ne demande qu’à être embrassé. D’autre part, on le sait, les livres ouvrent des fenêtres sur le monde. En nous libérant des conceptions dominantes de la littérature, nous nous autorisons des désirs littéraires qui ont le potentiel de repousser l’horizon des possibles et… de changer le monde. Rien que ça ! Pour 3,50€, on aurait tort de se priver. Faites-vous plaisir avec cette lecture stimulante et voluptueuse qui en appelle tant d’autres !

Lu en février 2024 – La Martinière, collection ALT, 3,50€

5 commentaires sur “Comment jouir de la lecture ? de Clémentine Beauvais (La Martinière, 2024)

Ajouter un commentaire

    1. N’hésite pas ! Pour quelqu’un qui lit autant que toi, c’est une super perche tendue qui donne envie de choisir encore plus consciemment ses terrains d’exploration littéraire, et de prolonger le plaisir de lecture en développant le réflexe de se demander plus systématiquement ce qui nous a emportée, ou pas.

      Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire

Site Web créé avec WordPress.com.

Retour en haut ↑