L’Éclipse, de Sarah Bussy (Julliard, 2024)

« Je pourrais disparaître là maintenant, pensa Camille, ils ne s’en rendraient pas compte. Ou bien plus tard. Trop tard ? »

L’intrigue est nouée en quelques mots déconcertants : lors d’une balade en forêt, une jeune femme, se voyant distancée par son partenaire qui porte leur enfant, entrevoit la possibilité de disparaître. Et cède à son impulsion, bifurquant vers un autre chemin qui la mène loin vers le nord, aussi loin que nécessaire pour être sûre de ne pas être retrouvée. Comment et pourquoi peut-on faire une chose pareille ? Pour mener quelle vie ? Et à quel point est-il possible de faire table-rase quand on a pris des engagements aussi fondamentaux que celui d’avoir un enfant ?

« La ville, les plaines, le volcan se couvrent de blanc. Un blanc doux qui pose un silencieux sur le monde, absorbe et calfeutre. Les couleurs qui s’y reflètent coupent le souffle, en dégradés de rose et de bleu, du feu du soleil couchant au violent ou au vert électrique de certaines nuits boréales. Les ciels sont délavés, plus irréels encore qu’à l’été, toujours actifs, en mouvement. Les étoiles brillent à neuf heures du matin. La neige offre un miroir à la lune. Le lac semble parfois éclairé de l’intérieur, fluorescent. Et certains jours, au contraire, tout est si blanc et brumeux – et pourtant jamais vraiment blanc, en variations de gris – qu’on ne distingue plus ni lande, ni montagne, ni vallée. Un écran albugineux tient lieu de paysage. La maison est un îlot fragile, une petite forme stable où persiste la couleur. »

Sarah Bussy raconte cette éclipse sans jugement, nous embarquant vers une terre de glace et de feu où assistons à une reconstruction au contact des personnes rencontrées là-bas et d’une nature grandiose (quel excellent choix d’ailleurs que celui de confier la couverture à l’illustratrice Marine Schneider qui sait si bien restituer la beauté des contrées nordiques !). La toute-puissance de la nature, le rythme régulier des saisons apaisent, vivifient, forcent parfois à se rapprocher des autres. Le grand blanc, le lac immuable, les aurores boréales et les journées qui s’étirent au retour des beaux jours ont un effet hypnotique qui brouille les repères temporels : je me suis demandé si l’autrice s’était emmêlée ici ou là dans sa chronologie mais je suis arrivée à la conclusion que c’était en réalité la protagoniste elle-même qui perdait la notion du temps.

Si je ne comprends pas sa démarche – dont les motivations profondes peuvent pourtant s’esquisser au gré de révélations parcimonieuses sur l’histoire de Camille ou se devinent en creux à ses réflexions et réactions – j’ai été intriguée par le tour que pourrait prendre sa fuite et je me suis laissé prendre de court par la plume et les émotions. Et in fine, j’ai apprécié et même trouvé courageuses les questions posées sur les bouleversements que peut provoquer l’arrivée d’un enfant.

Une quête introspective sensible et inattendue.

Lu en octobre 2024 – Julliard, 20€

9 commentaires sur “L’Éclipse, de Sarah Bussy (Julliard, 2024)

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  1. Le sujet est fort et tellement d’actualité… de plus en plus de femmes osent dire non à la maternité ou le débordement que l’arrivée d’un enfant peut provoquer. Je suis curieuse de lire comment cette autrice a su s’emparer de cette réflexion et la conduire émotionnellement. Merci pour la découverte !

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  2. C’est étrange comme démarche… Le livre n’a pas l’air de donner toutes les réponses. J’avoue que je ne comprends pas vraiment ce genre d’altitude… merci pour la découverte mais je ne pense pas m’y aventurer…

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    1. Oui, c’est étrange et inattendu. Cela restera, je pense, un peu difficile à comprendre complètement pour celles qui vivent leur maternité différemment. L’autrice s’attache, il me semble, moins à donner des réponses qu’à explorer une hypothèse sans jugement et à développer des réflexions à partir de là sur la maternité, la possibilité (ou pas) de disparaître et de se soustraire aux responsabilités abyssales qu’elle implique, mais aussi le retour à la nature. Je comprends que cela ne parle pas à tout le monde, j’y ai pour ma part retrouvé mon compte même si le vertige de la protagoniste n’est pas le mien 🙂

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  3. Ce livre est vertigineux, dans tous les sens du terme. Je crois que plus largement, j’ai aimé ce livre car il n’apporte pas de jugement. De cette manière, les femmes – mère ou non – retrouvent leur liberté d’agir et de penser. J’ai vraiment aimé le côté méditatif qu’apporte la description des paysages et des émotions. Tout y est doux malgré la violence intrinsèque de cet acte. Un livre qui pose des questions, sans vraiment y répondre, mais qui étrangement agit comme un pansement d’une grande douceur et bienveillance.

    J’ai découvert aussi une très belle plume ! Je pense que je lirais prochainement son premier roman.

    Merci pour votre partage en tout cas !

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    1. Mais merci à vous de m’avoir fait découvrir ce titre qui m’avait complètement échappé dans la profusion de parutions et qu’il aurait effectivement été dommage de manquer ! C’est vrai que l’autrice ne juge pas et que son roman a, étrangement, quelque chose de doux, à l’image du manteau blanc qui recouvre les contrées nordiques où Camille se réfugie.

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