Aimer, de Sarah Chiche (Julliard, 2025)

« Comme Alexis, Margaux avait neuf ans. »

Un garçon, une fille, la promesse du titre : toutes les bases sont posées pour une histoire d’amour…

… mais pas trop vite, mais pas tout de suite. Les deux protagonistes ne sont encore que des écoliers aux prises avec leurs préoccupations (plus ou moins) enfantines. Sarah Chiche prend son temps, décrivant le décor suisse et aisé dans lequel évoluent les personnages et leurs familles respectives, la personnalité singulière d’Alexis et celle de Margaux, leur rencontre tonitruante, leurs rêves et leurs failles, la manière dont leurs chemins de vie bifurquent pour ce qui semble une éternité… On va suivre le cheminement de chacun, observer les parallèles, les contrastes et les frôlements, se demandant s’ils finiront un jour par se retrouver.

« Quand il fermait Les aventures de Tom Sawyer ou son exemplaire du Livre de la jungle, il lui semblait qu’il déposait une part de lui-même, en attente de ce jour où, plus tard, il retournerait en France pour se forger enfin une place dans cet environnement de mots et de devoir que ses parents appelaient, sobrement, ‘l’avenir’. »

« Mais déjà, l’amour des livres avait surgi sans prévenir, s’était glissé dans sa tête, entre les fissures de l’ennui, de la solitude et de la folie. La littérature perce de sa lumière une pièce que l’on croyait fermée à jamais. On entend des voix perdues. On entre dans une grande conversation secrète. On trouve des mots pour ce qu’on ne pouvait dire, des histoires pour ce que l’on ressentait sans pouvoir l’exprimer. Dans les pages se cachent des alliés : Hamlet et sa rage enfiévrée, Augustin Meaulnes et sa fuite magnifique, Bartleby et son opiniâtreté mélancolique. Quelqu’un dit : « Je préférerais ne pas », et soudain on reconnaît sa propre résistance passive face au monde des adultes, ce refus poli mais inébranlable de devenir ce qu’on attend de nous. Margaux ne cherchait pas de consolation dans les livres. Elle cherchait une confrontation avec une beauté impossible à atteindre. Et c’était précisément dans cet effort incessant, dans cette tension vers l’inaccessible, qu’elle trouvait la force d’exister. »

Chemin faisant, le roman développe une réflexion sur l’amour dans toutes ses formes – amoureuse, filiale, amicale, littéraire. Quelles sont les marges pour aimer dans notre monde miné par le conformisme et la superficialité, le carriérisme et les considérations bassement matérielles, l’aliénation et la course au profit, l’individualisme et la peur d’être seul ? Si cette fresque embrassant la Suisse des années 1980, le Paris des années 1990, le New York des années 2000 (et toute une flopée de thématiques sociétales au passage) ne laisse à première vue que peu d’espoir, ce sont tout de même les interstices propices aux liens d’amour qui intéressent Sarah Chiche.

Ayant comme elle envie d’y croire, je regrette de ne pas avoir été plus intéressée par cette quête ni plus embrasée par cet amour de toute une vie. Là où l’année dernière, sur le même sujet, Nathan Hill et son Bien-être m’avaient captivée et interrogée, Aimer m’a laissée de marbre. J’ai eu du mal à m’attacher aux personnages dont tant semblent soit désabusés soit naïfs. La passivité d’Alexis m’a lassée ; j’ai eu du mal à croire à la liberté de Margaux (par exemple ses conversations avec ses copines libérées ne m’ont pas du tout semblé naturelles). Peut-être que les ellipses temporelles qui font défiler la vie des protagonistes à toute allure m’ont empêchée de les apprivoiser – même si c’est aussi ce qui permet à l’autrice de développer des réflexions sur le rôle du temps, des chemins sinueux de la vie, des expériences qui permettent de conquérir des libertés, d’assumer des choix et de parvenir à aimer.

Un roman ample et ambitieux, mais qui m’a malheureusement laissée au bord.

Merci beaucoup à l’éditeur et à NetGalley de m’avoir donné la possibilité de lire ce titre avant sa parution.

Lu en août 2025 – Julliard, 22,50€

6 commentaires sur “Aimer, de Sarah Chiche (Julliard, 2025)

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