
En ouvrant le Bel Obscur, je ne savais pas où j’avais mis les pieds mais j’ai d’emblée soupesé ces pages gorgées de nostalgie, de solitude et d’une colère dont fera tragiquement les frais un buddleia à la « beauté trompeuse ». Quelle est cette aura particulière qui imprègne les lieux ? Pourquoi ce jardin qui semble avoir abrité les rêves les plus papillonnants est-il désormais à l’abandon ? Quel est cet intérieur « libéré des compromis qui règlent la déco d’un lieu dit conjugal » ? Et entre ces murs, une narratrice dont on se demande si elle est saine d’esprit, à voir ses pensées s’enrouler en spirales improbables, glissant de l’horticulture à l’alchimie, de l’analyse de ses rêves à la poésie d’Apollinaire, de l’évocation de son histoire familiale à l’élucidation de son propre destin…
J’en étais là de mes interrogations quand cette femme déroutante a découvert l’existence d’un aïeul né en 1834 dont les traces remisées au grenier dessinent un portrait magnétique mais insaisissable. Qui était Edmond et pourquoi a-t-il été effacé de l’arbre généalogique ? Notre narratrice se lance dans une enquête à corps perdu, scrutant les maigres indices et n’hésitant pas à convoquer une graphologue, un cercle de spiritisme, une astrologue, ou encore les écrits de Virginia Woolf et Oscar Wilde.
« Il m’arrive de penser à mon père comme à un romancier contrarié. Correspondances, nécrologies, archives à démêler, ce legs envahissant, si méticuleusement classé par ses soins, a-t-il épuisé un vieux rêve, celui de faire œuvre de fiction ? S’est-il dit qu’à propos d’un destin atrophié il était permis de combler les vides, de compléter les traces, bref, d’imaginer ? »
Mais pourquoi cette obsession pour Edmond qui, après tout, est mort et enterré depuis plus d’un siècle et demi ?
La nature de cette quête se révèle petit à petit, au fur et à mesure que les souvenirs affluent ; pour ne rien vous cacher, il y a même beaucoup de choses que je n’ai vraiment saisies qu’à la relecture. Mais on finit par comprendre l’urgence de raconter pour sauver de l’effacement, de donner à la mémoire un abri fait de mots. Et de panser les fêlures de ceux qui sont hors-cadre.
J’ai été émue par l’entièreté de cette narratrice incapable de compromis sur ce qui compte vraiment pour elle, foncièrement rétive aux conventions et injonctions sociales, absolue jusqu’à la douleur.
Un roman queer, mélancolique et mystérieux dont le titre prend tout son sens : à l’image du portrait d’Edmond, toute beauté y semble avoir sa part de nuit.
Lu en octobre/novembre 2025 – Seuil, 20€
Je suis curieuse de découvrir les dessous de cette quête obsessionnelle par une protagoniste qui semble entière.
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