Je voulais vivre, d’Adélaïde de Clermont-Tonnerre (Grasset, 2025)

Adélaïde de Clermont-Tonnerre l’a réalisé bien après avoir dévoré ado les écrits d’Alexandre Dumas : la figure démoniaque de Milady masque une femme en chair et en os dont l’histoire est bien plus fascinante que celle que les hommes, à commencer par l’auteur, ont voulu retenir. L’hypothèse défendue dans la note qui clôt Je voulais vivre m’a semblé totalement plausible :

« Cher Alexandre, cette héroïne, tu y reviens, à de nombreuses reprises. Comme un coupable revient sur les lieux du crime. Le récit des assassinats manqués et réussis de Milady hante tes protagonistes comme il semble te hanter. Chaque fois, les versions diffèrent, les détails se contredisent. Bien sûr, je pourrais mettre ces incohérences sur le compte de l’urgence dans laquelle tu écrivais, mais un inspecteur y verrait autre chose… L’esquisse des regrets. Alexandre, tu es resté au seuil de cette femme, comme si elle te faisait peur, comme si tu tremblais de céder à des sentiments plus doux. Je vois bien que tu l’admires, mais tu résistes. Tu refuses de te laisser prendre à son charme que tu dis vénéneux pour ne pas avoir à la comprendre. »

Le problème, c’est que ces quelques lignes postérieures au roman auront été, in fine, celles que j’aurai préférées. L’autrice m’a intimement convaincue que les Mousquetaires de Dumas avaient infligé une injustice inouïe à Milady – quelle expérience sidérante de prendre conscience de ce qui se joue lors du simulacre de procès qui voit une femme terrifiée se faire accuser de tous les maux, dont par exemple celui d’avoir, à 14 ans (!), séduit et détourné de sa foi un innocent prêtre qui faisait deux fois son âge… et avait l’autorité légale sur elle. Effectivement, il y avait de quoi lever un sourcil et avoir envie de proposer un contre-récit variant les perspectives.

Je m’étais réjouie d’embarquer dans un roman de cape et d’épée qui en aurait le souffle et les rebondissements, mais qui en bouleverseraient le sens en creusant la psychologie de Milady – un peu comme Madeline Miller révèle le personnage de Circé. Malheureusement, je suis restée sur ma faim, attendant désespérément que la protagoniste prenne enfin de l’épaisseur (il était certes difficile pour ce roman d’arriver juste après La maison vide dans mes lectures de rentrée). La plume est plaisante et se lit facilement, les péripéties se succèdent avec rythme, mais c’est comme si la lecture initiale avait été retournée comme le gant du duc de Buckingham : la belle Milady est ballottée entre injustices, incroyable malchance et complots, jouet d’hommes presque tous foncièrement horribles. Les personnages étaient bien trop entiers, manquaient trop de dilemmes, de failles et de zones d’ombre pour m’émouvoir. Certains passages m’ont semblé franchement anachroniques lorsqu’à l’aube du Grand siècle, Milady se met à formuler des paroles d’une modernité qui pourraient encore en braquer certains aujourd’hui.

Restée à distance des personnages, j’ai eu du mal à m’intéresser aux intrigues de la cour du Roi d’Angleterre, aux manigances diplomatiques du Cardinal de Richelieu et aux séquences du siège de Maastricht dont je n’ai absolument rien compris aux tenants et aboutissants. Je n’ai pas complètement adhéré non plus à la forme chorale dont certains volets s’inscrivent de manière cohérente dans le cadre de la sorte d’enquête qui se déploie sous nos yeux, mais d’autres pas, lorsqu’on entend la voix de personnes mortes ou n’ayant pas pu être interrogées.

À trop avoir voulu gommer les ombres de Milady pour la réhabiliter, il me semble que ce roman pavé de bonnes intentions a fini par la priver d’une part d’âme et de vérité. Il reste les rebondissements qui offrent un divertissement certain, mais loin d’être inoubliable. Dommage.

Lu en novembre 2025 – Grasset, 24€

6 commentaires sur “Je voulais vivre, d’Adélaïde de Clermont-Tonnerre (Grasset, 2025)

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  1. Je suis partagé ça à l’air à la fois intéressant de redonner sa place au personnage de milady. Mais j’ai l’impression de pas mal de maladresses dans la façon d’écrire l’histoire, soit avec les anachronismes que tu cites, soit avec une histoire remplie de details comme pour cacher une méconnaissance. Je ne sais pas…

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    1. Oui, je pense que l’autrice s’attache à mettre en lumière les « détails » restés dans l’ombre chez Dumas et qui dessinent un portrait orthogonal à celui qui émerge du roman d’origine. Je pense qu’il y avait matière, mais je n’ai pas été complètement convaincue de la manière dont ça a été fait ici. Mais je serai vraiment curieuse de savoir ce que tu en auras pensé si tu y vas quand même !

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    1. Mon avis est vraiment décalé par rapport à la plupart des retours qui sont franchement enthousiastes. J’espère que tu feras partie des lecteurs convaincus 🙂 Pour les anachronismes, ce n’était pas un ressenti permanent, plutôt des réflexions ici et là sur l’envie d’indépendance ou la tolérance à l’égard de l’homosexualité qui m’ont semblé peu plausibles dans la bouche d’une femme de cette époque. Mais vraiment ponctuellement.

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