Ami.e.s britanniques ! La tragédie du Brexit a frappée nos vies, et nous serons bientôt déprivés de nos passeports Européens. Mais dans ce monde qui ne fait pas de sens, nous nous identifions à une jeunesse cosmopolitaine internationale et nous ne voulons pas perdre le privilège de travailler et vivre dans un autre pays Européen. Nous voulons un passeport Européen !
Si on m’avait dit, en juin 2016, alors que le monde apprenait avec stupéfaction qu’une majorité de britanniques venaient de voter pour quitter l’Union européenne, que je rirais à voix haute en lisant un roman sur le sujet ! Pour être franche, je n’y aurais pas cru une seule seconde ! Il faut dire que Clémentine Beauvais fait preuve d’une véritable virtuosité pour imaginer les situations les plus abracadabrantes, la rencontre des personnages les plus improbables et de savoureux dialogues franco-britanniques truffés de quiproquos…
‘C’est quoi comme start-up ?
‘Organisation de mariages.’
‘Ah ? Et t’as un concept ?’
‘Oui, mais le concept est un peu niche’, dit Justine.
‘Un peu niche’, rigola toute seule Cannelle en imaginant des mariages de chiens, jeu de mots inaccessible aux anglophones.
De quoi s’agit-il ? Le devant de la scène est occupé par plusieurs millenials français et britanniques. Féministes, militants ou artistes, étudiants ou fondateurs de start-ups, d’origine modeste ou aisée, végétariens-écolos ou conservateurs, ils sont surtout profondément cosmopolites et attachés à leur liberté de circuler dans l’Union européenne. Et tous impliqués d’une manière ou d’une autre dans le complot farfelu de la jeune et pétillante Justine Dodgson qui cherche à marier ensemble des Français et des Anglais pour permettre à ces derniers de conserver un passeport européen – tout en faisant « un gros fuck you au gouvernement et aux abrutis qui ont voté Brexit » (et au passage à l’institution du mariage !). Mais rien ne se passe comme prévu et tout se complique lorsque l’amour s’en mêle…
J’ai lu avec beaucoup de plaisir ce roman qui ne ressemble à aucun autre. Les mondes de la start-up, des hipsters et des adeptes de UKIP sont si finement restitués – à peine caricaturés ! – qu’on se croirait presque dans une étude sociologique… Le regard de Clémentine Beauvais est à la fois emprunt de lucidité, d’ironie et malgré tout de tendresse. Et les dialogues où le français et l’anglais se mélangent de façon si réjouissante sont géniaux, dévoilant le sens des expressions britanniques les plus énigmatiques :
‘Fair enough’, dit Matt, ce qui en anglais signifie, OK, normal, je comprends, mais quand même, enfin d’accord, peut-être, bon, vu comme ça.
Brexit Romance est un texte profondément moderne. Moderne dans sa forme, hésitant entre le roman, la pièce de théâtre et le film puisqu’il est même assorti d’une bande son (mention spéciale pour Françoise Hardy et Only Friends !). Moderne également par son ancrage dans le monde actuel, celui de l’individualisme et du questionnement des institutions traditionnelles (le mariage, les institutions politiques, la justice), de l’hyper-connexion, du cosmopolitisme et d’une polarisation politique exacerbée. À tel point que je n’ai pas pu m’empêcher de me demander si Clémentine Beauvais n’avait pas fait un pari risqué, en proposant un roman qui risque de paraître daté lorsque Facebook, Twitter, Uber et le UKIP seront passés de mode et lorsque les innombrables allusions à notre époque seront devenues difficiles à décrypter pour celles et ceux qui ne l’auront pas vécue. Mais en attendant, cela fait sacrément du bien de rire de tout cela. L’occasion également de méditer les belles paroles de Georges Brassens :
« Ma mie, de grâce, ne mettons
Pas sous la gorge à Cupidon
Sa propre flèche. »
Lu en novembre 2018 – Sarbacane, 18€