Écrire comme une abeille. La littérature jeunesse de la lecture à l’écriture (Clémentine Beauvais, Gallimard Jeunesse, 2023)

L’idée semble simple : apprendre à lire la littérature jeunesse (comprenez : à la lire comme un écrivain) est super utile pour apprendre à l’écrire.

Alors certes, écrire un livre n’est pas spécialement au programme pour moi. Mais que voulez-vous, on ne se refait pas, je lis TOUTES les parutions de Clémentine Beauvais. Toutes sont délicieuses mais aucune ne se ressemble, c’est la surprise à chaque fois. Mes adorables parents, qui savent qu’une abeille vaut mieux que mille mouches, m’ont donc offert cet ouvrage aux allures de joyeux manuel.

En l’ouvrant, je me réjouissais à l’idée de sillonner les sentiers de la littérature jeunesse avec l’une des meilleures expertes, d’avoir un regard nouveau sur des titres connus et l’envie d’en découvrir d’autres… Bref, je pensais être captivée de bout en bout.

Finalement, ça ne s’est pas exactement passé comme prévu.

Attention, n’allez surtout pas imaginer qu’Écrire comme une abeille n’aurait pas été si intéressant. C’est une mine d’informations mirifiques ! Comment ne pas être transportée en réalisant que l’école Durmstrang dans Harry Potter est une contrepèterie du Sturm und Drang, ou en mettant enfin un mot sur les intrigues carnavalesques ? Lovée dans ces pages, on réfléchit à ce qui constitue la littérature jeunesse, on apprend à lire comme un écrivain et à interroger la forme et le genre, le style et le ton, les modes de narration, les types d’humour, la cohérence du système ou les ingrédients d’un bon incipit. On ne voit pas passer les chapitres tellement c’est bien expliqué et illustré avec des extraits de livres variés.

Comment, alors, cette lecture m’a-t-elle donc prise de court ? La vérité est que je ne m’attendais pas le moins du monde à m’amuser autant. Ce qui rend ce livre vraiment génial, c’est la manière dont il incarne les principes évoqués. Clémentine nous donne littéralement à voir ce qu’elle explique. C’est hyper vivant, didactique (je pense que nous autres chercheur.e.s devrions toutes la lire pour apprendre à vulgariser nos recherches !) mais surtout hilarant. Cela faisait longtemps que je n’avais pas autant rigolé – et toute la famille a profité des meilleurs morceaux à voix haute. Ouvrez ce livre par curiosité à n’importe quelle page, je doute que vous résistiez à l’ironie, à l’autodérision, aux exemples désopilants, aux idées qui pétillent. Je vous mets plusieurs extraits ci-dessous en guise d’amuse-bouche mais vraiment, OUVREZ-LE !

Qui sait, ce livre généreux en astuces et ficelles pourrait bien vous donner envie d’écrire ?

Pour ma part, je sais en tout cas que je ne lirai plus jamais de la même manière.

Bonus : sur la littérature jeunesse, n’hésitez pas à lire aussi Tout sur la littérature jeunesse, de Sophie van der Linden, et sur la littérature ado, En quête d’un grand peut-être des frères Lévêque. Et bien sûr les fictions de Clémentine Beauvais : Les petites reines, Brexit romance, Âge tendre et Les Facétieuses.

Extraits (difficilement choisis !)

« […] les toutes jeunes enfants rigolent des situations inhabituelles n’acquièrent un véritable second degré, en moyenne, que vers l’entrée en primaire, et ne gèrent l’ironie et le sarcasme qu’à l’orée de la préadolescence (après, en revanche, ils se rattrapent à mort).
Comme ce sont des êtres puissamment retors, les enfants peuvent tout à fait savoir des livres pleins de blagues complexes bien avant d’être en mesure de comprendre lesdites blagues. Petite anecdote : quand j’avais 4 ans, je suis partie en colo de ski pour la première fois. Mon père m’écrivait tous les jours des cartes postales (gentil papa) et, comme je savais lire, les monos de la colo me les donnaient sans y jeter un coup d’œil. Un jour, on m’a retrouvée dans un coin, tenant la carte du jour entre mes petits doigts rougis par la détresse. Il s’agissait d’une photo d’un ravissant petit porcelet rose ; derrière, mon boute-en-train de père avait écrit en lettres bâtons : « Coucou ma chérie ! Tout va bien ici. Une méchante fée a transformé maman en cochon, mais ne t’inquiète pas : je lui donne à manger tous les jours ! » Il est alors apparu clairement que ma capacité à déchiffrer ce message n’était pas escortée d’une aptitude à comprendre que c’était une blague. J’étais en choc traumatique maximal, convaincue que ma mère ne me ferait plus que des bisous de groin en me serrant entre ses sabots. Tout ça pour dire que l’humour, chez les tout-petits, ce n’est pas forcément acquis. (Ma mère va nickel, au cas où vous vous en inquiéteriez – elle vit sa meilleure vie, se roule dans la boue, se gave de nèfles). »

« L’onomastique n’est pas une marque de chewing-gum mais la science des noms, qui, comme le montre Nathalie Prince, participent aussi à la surdétermination prophétique des personnages en littérature jeunesse. Le gamin accro à la télévision dans Charlie et la chocolaterie, de Roald Dahl, s’appelle Mike Teavee : littéralement, en anglais, Michel Télé. C’est comme si je m’appelais Aimée Le Fromage : c’est ma principale obsession, d’accord, mais c’est quand même un poil réducteur (quoique). »

« Le degré de dépravation morale de l’antagoniste n’a donc que peu à voir avec sa capacité de nuisance. Les antagonistes, comme les protagonistes, peuvent être multiples ou flanqués d’acolytes.
Ce qui compte, c’est surtout le sérieux de la menace qu’ils font peser sur la quête du héros ou sur le héros même. Si vous avez réussi à me convaincre, dans votre système fictionnel, que votre protagoniste doit absolument gagner le concours du plus gros mangeur de Flanby, vous réussirez à me faire haïr son adversaire, triple championne régionale, qui est sa concurrente la plus sérieuse. En revanche, si votre système est bancal, je n’aurai cure de votre grand méchant, même si c’est un puissant mage qui écartèle les gens et verse de l’acide citrique sur les plaies en regardant ses victimes se tortiller. »

« La limite de l’imagination métaphorique est la fameuse mixed metaphor, le carambolage de métaphores, du type « l’écho scintillant de l’odeur salée de la mer »… Ou encore l’image qui veut vraiment trop faire de zèle, façon « un poussin comme un morceau de soleil tombé dans la basse-cour » (jusque-là d’accord) « … qui galope comme une orange » (non, là, ralentis, cerveau !) « …en piaillant comme un tournesol qui est aussi une balle de tennis » (police, plaquez-la à terre et mettez-là hors d’état de nuire !). »

Lu en juin-juillet 2023 – Gallimard Jeunesse, 27,90€

2 commentaires sur “Écrire comme une abeille. La littérature jeunesse de la lecture à l’écriture (Clémentine Beauvais, Gallimard Jeunesse, 2023)

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