La carte postale, d’Anne Berest (Grasset, 2021)

L’intrigue nouée autour d’une mystérieuse carte reçue par Lélia, la mère de la narratrice a piqué ma curiosité : qui lui enverrait, sans aucune explication, les prénoms de ses ancêtres déportés plus de soixante ans plus tôt ? Des années plus tard, devenue mère à son tour, la narratrice ressent le besoin de sonder cette histoire familiale. Elle décide de tirer au clair les circonstances de l’envoi de la fameuse carte postale.

« Emma s’installe au piano, elle recule un peu le tabouret à cause de son ventre. La jeune femme est diplômée du prestigieux Conservatoire national de musique. Mais elle aurait voulu devenir physicienne. Mais elle n’a pas pu à cause du numerus clausus. Elle espère de tout son cœur que l’enfant qu’elle porte vivra dans un monde où il choisira ses études. »

Cette investigation met au jour une histoire bouleversante, follement romanesque mais néanmoins vraie – celle qui ballotte Ephraïm, Emma, Noémie, Jacques et Myriam de Moscou à la France en passant par la Lettonie, la Pologne et la Palestine. Les indices et témoignages glanés brossent des portraits pleins de vie, des personnages solaires, des destins pulvérisés par l’antisémitisme crasse, les numerus clausus et les lois sur le commerce, la Shoah. Même si on connaît déjà ces pages terribles de l’Histoire, impossible de ne pas être pris à la gorge par la façon dont elles s’incarnent dans ces vies. J’ai été sonnée à plusieurs reprises ; je pense par exemple à la façon tragique dont Ephraïm s’efforce de témoigner de sa volonté d’intégration et sous-estime l’étau qui se referme sur sa famille. Ou à cette description effarante de l’arrivée à l’hôtel Lutetia des rescapés des camps allemands.

Cette histoire s’imbrique dans un autre récit tout aussi prenant, celui de l’enquête menée par celle qui se découvre des points communs troublants avec sa grand-mère. La quête d’une femme qui n’a pas reçu d’éducation religieuse mais se trouve inexorablement ramenée à une judéité insaisissable. Une femme dont l’entourage fait l’expérience des formes multiples et persistantes d’antisémitisme qui persistent jusqu’à aujourd’hui. Une écrivaine qui boucle la tragédie familiale en entretenant, avec ce roman, la mémoire de celles et ceux qui furent privés de sépulture.

Un roman émouvant, éclairant et difficile à lâcher.

Lu en décembre 2021 – Grasset, 24€

3 commentaires sur “La carte postale, d’Anne Berest (Grasset, 2021)

Ajouter un commentaire

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Site Web créé avec WordPress.com.

Retour en haut ↑

%d blogueurs aiment cette page :