Le Cercle fermé, de Jonathan Coe (Gallimard, 2006 pour la traduction française)

Quel plaisir de retrouver toute la bande de Bienvenue au club, quelle curiosité de découvrir ce qu’ils sont devenus vingt ans après ! Les 1970s de leur adolescence sont bien loin : les voilà en pleine mid-life crisis, tandis que l’Angleterre s’engage dans la « troisième voie » sous la houlette de Tony Blair. Il ne reste pas grand-chose des idéaux et de l’insouciance qui irriguaient le précédent tome. Mais les vestiges des sentiments anciens subsistent. Lorsque Claire rentre de plusieurs années en Italie, il suffit de peu pour les raviver…

Journaliste, écrivain, traductrice de retour de l’étranger, homme politique, chaque personnage est à sa manière le témoin de l’époque. Les grands groupes privés font un hold-up sur des secteurs publics entiers. Leurs PDG s’en mettent plein les poches tout en multipliant les plans sociaux. Le cercle exclusif des élites « tendance » se referme, ouvrant une brèche où s’engouffre le British National Party. Mais abreuvé d’émission idiotes et de slogans vides de sens, le pays semble apathique.

« Ça veut dire qu’aujourd’hui tout le système n’est conçu que pour une frange très étroite d’opinions politiques. La gauche a largement glissé vers la droite, la droite a fait un tout petit pas vers la gauche, le cercle s’est refermé et les autres n’ont qu’à aller se faire foutre. »

Face à cette « superficialité obscène » de la vie culturelle et politique, la frustration des personnages bouillonne littéralement. Le bonheur passe-t-il par l’humilité, la stabilité ? Les ambitions impliquent-elles nécessairement des compromissions ? Chacun semble chercher ses propres réponses, mais tous se tournent vers le passé. J’ai trouvé cette nostalgie un peu pesante, surtout dans le cas de l’inconsolable Benjamin. Les souvenirs ressassés m’ont parfois donné l’impression de relire Bienvenue au club mais là où j’avais apprécié l’équilibre entre humour et vitriol, ici la mélancolie prend le pas.

Cela dit, j’aime toujours comment Jonathan Coe joue avec les registres, mêlant roman, lettres, emails, SMS, compte-rendu de réunion, articles de presse, extraits de discours parlementaires et même une fiction dans la fiction. De sa plume féroce, l’auteur décape le vernis des apparences, des carrières fulgurantes et de la vie de famille (l’un des personnages ne s’occupe pas de sa fille, mais accepte de signer une chronique hebdomadaire sur « les joies de la paternité »). Il réussit l’émulsion d’histoire et de littérature, d’intime et de politique que son personnage Benjamin aimerait tant atteindre, révélant la profondeur des répercussions individuelles de ce qui pourrait sembler des péripéties mineures des grands conflits historiques.

Et cerise sur le pudding, ce roman boucle la boucle – ou referme le cercle si on veut – en apportant des réponses à toutes les questions que le premier tome avait laissées ouvertes !

Lu en août 2022 – Folio, traduction de Jamila et Serge Chauvin, 9,90€

3 commentaires sur “Le Cercle fermé, de Jonathan Coe (Gallimard, 2006 pour la traduction française)

Ajouter un commentaire

    1. Alors pour ma part, j’avais vraiment aimé Bienvenue au club ! J’étais justement très curieuse d’en savoir plus sur la disparition de Miriam, c’est quelque chose qui est effectivement élucidé dans le deuxième tome. J’ai été satisfaite d’avoir le dernier mot et j’ai trouvé la fresque sociale très juste. Par contre, comme je le disais dans mon billet, j’ai trouvé que l’humour et l’insouciance qui venaient équilibrer le premier tome se faisaient rares, pour ne pas dire absents. Cela donne quelque chose d’assez morose pour tout te dire. Je lirai quand même le 3e tome sur le Brexit car le sujet m’intéresse !

      Aimé par 1 personne

      1. Je crois que la perspective d’en savoir plus sur Miriam est la seule vraie raison que je pourrais avoir de lire ce deuxième tome… Savoir que je ne serai pas frustrée à ce niveau-là est déjà rassurant, reste à voir si je me lance ou si tout ça tombe dans les limbes !
        Vu qu’ils sont plus vieux, c’est peut-être normal que l’atmosphère change, non ? Qu’ils soient moins insouciants que lorsqu’ils étaient lycéens…

        Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire

Site Web créé avec WordPress.com.

Retour en haut ↑