La vie clandestine, de Monica Sabolo (Gallimard, 2022)

L’autrice traverse une crise : elle qui s’est toujours réfugiée dans la littérature, la voilà incapable de lire et d’écrire. Elle jette son dévolu sur un sujet aussi éloigné d’elle que possible : le groupe armé Action directe et l’assassinat de Georges Besse, PDF de Renault, en 1987. Mais voilà que la vie clandestine qui se dessine au fil de son enquête résonne de manière inattendue avec sa propre histoire…

« Je ne savais pas encore que les années Action directe étaient faites de ce qui me constitue : le secret, le silence et l’écho de la violence. »

Les événements déroulés au fil des chapitres m’en ont appris un rayon sur Action directe. L’autrice sonde les personnalités des protagonistes et leur époque « crépusculaire » marquant la fin d’un rêve et l’impuissance à en nourrir de nouveaux. Elle cherche à identifier l’origine de la violence – violence individuelle de celles qui ont tiré sur un père de famille ? Violence d’un système qui broie des existences au profit de la rentabilité ?

Mais l’essentiel n’est pas vraiment là. Il y a surtout des parallèles qui se multiplient entre l’histoire de l’autrice et celle d’Action directe. Dans les deux cas, les informations sont rares et fragmentaires. Le vrai s’imbrique avec le faux. Certaines choses sont tues, d’autres impossibles à entendre. Les faits se dérobent, semblent se décliner en plusieurs interprétations fragmentaires. Monica Sabolo est habitée par le doute. Elle questionne ses souvenirs avec beaucoup d’humilité, en explore désespérément les différentes facettes. Elle puise la force d’affronter leurs zones d’ombre dans son enquête et dans la rencontre avec plusieurs anciens d’AD.

Alors c’est troublant de voir ces derniers décrits comme désarmants d’humanité. Mais on comprend de toute son âme pourquoi sonder leur cœur et leurs regrets réconforte l’autrice.

Un texte intime, déroutant par sa cible mouvante, mais très bien écrit et touchant.

Extraits

« J’ignore si ces jeunes gens sont romantiques ou dangereux, rêveurs ou fous, à côté de la plaque ou au cœur du réel. Je ne sais d’où provient la violence, d’eux ou du système, je ne sais s’ils sont des résistants, des aventuriers, des Pieds Nickelés, ou des gangsters. Peut-être sont-ils tout cela à la fois, peut-être rien de tout cela. Mais ce qui m’apparaît, et m’est étrangement familier, c’est le glissement. Cette ombre qui se déplace, de manière imperceptible, et les conduit dans un lieu solitaire, de plus en plus loin des autres, et d’eux-mêmes. Un mouvement qui les emporte à travers le temps et l’espace à la façon du courant d’une rivière, tandis que l’ombre les recouvre. Et soudain, ils sont là, plongés dans l’obscurité, et ils s’apprêtent à commettre l’irréparable. »

« Dans cette histoire, j’ai rencontré des individus détenant chacun leur vérité. Chacun est sincère, sensible, et pourtant, leurs vérités se percutent, ils racontent des histoires qui s’infirment ou s’annulent. Forcément, quelqu’un se trompe, ou quelqu’un ment. Mais peut-être pas. Les vérités se côtoient à la façon d‘univers parallèles, légèrement dissemblables, séparés par des parois aussi minces que du papier à cigarettes, des parois au travers desquelles nous pourrions voir, si nous nous approchions, que nous pourrions déchirer juste en passant la main. Mais nous ne le faisons pas. »

Lu en janvier 2023 – Gallimard, 21€

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