
« Au fond, qu’avons-nous à cacher ? Si nous n’avons rien à nous reprocher, pourquoi ne pas accepter de tout montrer ? »
Vue panoramique… sur l’intérieur des voisins
Comme souvent dans les dystopies, le futur imaginé par Lilia Hassaine est fondé sur les meilleures intentions. Imaginez la transparence absolue, un monde aux parois vitrées où chacun vivrait sous le regard protecteur de ses voisins. Le temps des violences domestiques et des abus de tous ordres semble révolu, c’est le règne de l’harmonie, du bon goût, du politiquement correct et du contrôle social. À tel point que la police devient superflue ! Pourtant, un jour une famille entière disparaît. Ancienne commissaire de police, Hélène reprend du service…
« Dans un monde où tout le monde peut observer tout le monde, les disparitions sont des évasions. Surtout, ils habitent à Paxton, le coin le plus huppé de la ville. En tant qu’habitante de Bentham, un quartier moins aisé, je peux vous assurer que leur protection est optimale. Chez eux, la Transparence est une religion. Les voisins sont vigilants et les baies vitrées gigantesques. Personne ne possède de voiture ; un tramway, transparent forcément, circule nuit et jour à Paxton, et il est toujours bondé. À l’entrée de ce district, des gardiens privés contrôlent les allées et venues des habitants et enregistrent l’identité de leurs invités. Même les plantes poussent bien droit, aidées par des tuteurs en bois. C’est le quartier des orchidées et des fleurs sans épines. Là-bas, tout n’est que luxe, calme et sécurité. »
Lilia Hassaine tire le fil de son hypothèse : jusqu’où pourraient nous mener l’aspiration au contrôle social et la tentation du voyeurisme ? À quoi ressemblerait une société de la transparence totale ? Quels seraient son architecture, son système politique, son économie, ses méthodes éducatives, sa morale ? L’atmosphère est bien croquée, on étouffe derrière les doubles-vitrages, dans ces intérieurs lisses comme un tableau de Hopper.
J’aime les expériences de pensée et j’ai passé un très bon moment avec celle-ci. Elle donne à réfléchir aux tensions entre liberté et sécurité. À ce que l’on perd à laisser la sphère privée à une peau de chagrin. Aux limites de chercher à ménager toutes les susceptibilités ou de juger toute chose à l’aune de son potentiel instagrammable. Aux bonnes idées évidentes qui ne le sont souvent pas tant que ça.
« Les réseaux sociaux ont connu leur apogée au moment de la révolte de 2029. L’avenir était alors au métavers, on nous promettait que l’homme du futur s’échapperait du monde matériel grâce à des casques de réalité virtuelle. Personne n’avait anticipé le scénario inverse : une société où, sans casque ni lunettes connectées, on jouerait chaque jour à être l’avatar de soi-même. »
J’ai trouvé que le roman forçait un peu le trait – sur les usages des réseaux sociaux qui, une fois de plus, présentés de manière outrancière, sur le manichéisme de la société imaginée qui n’offre par exemple un avocat qu’aux victimes ou avec cette protagoniste qui dévorait les livres, enfant, mais ne sait plus les utiliser en l’absence de « bouton latéral » ou de « mode veille ». J’ai pu avoir l’impression qu’en caricaturant certaines causes, l’autrice jetait un peu le bébé avec l’eau du bain. Mais j’ai été sensible à son éloge de la discrétion et du secret : pour vivre heureux, vivons cachés !
Et c’est hyper malin d’avoir mis le roman sous tension par le biais de cette disparition inexplicable. Il se dévore (même si j’ai trouvé la résolution de l’enquête un brin capillotractée).
Je n’ai donc pas été convaincue par tout mais ce n’est pas grave, j’ai pris un grand plaisir à lire ce roman porté par une plume très agréable qui mélange les genres avec bonheur. Une dystopie stimulante et captivante.
Lu en août 2023 – Gallimard, 20€
Laisser un commentaire