Ta promesse, de Camille Laurens (Gallimard, 2025)

C’est une romance, c’est une belle histoire – sauf que dès le prologue, on sait qu’elle va vriller. Une maison désolée, un drame. Comment en est-on arrivé là ? Voilà la question qui nous taraude quand la narratrice reprend le fil des événements du début, se souvenant de la rencontre, du coup de foudre, de l’extase des moments partagés et du cheminement commun. Tellement idyllique qu’on fait plus que frôler le cliché. Mais très vite, des détails troublants nous mettent en alerte. Et puis avec ces prises de parole qui font incursion dans le récit et les phrases adressées à « madame le juge » ou « Maître », le doute n’est plus permis : nous sommes au cœur d’un procès. C’est donc comme un thriller qu’on va lire cette « romance »…

« Il faut que ce livre finisse comme finit un roman policier : par la vérité. Car la vérité existe, n’en déplaise aux hérauts de la nuance, aux champions de l’ambivalence, aux tenants de la fiction universelle. À un moment, dans le champ de la vie, quelque chose est vrai ou faux, fait ou fable. Cela ne dure peut-être qu’un moment, mais c’est un moment de vérité. Or, tout le monde a peur de la vérité. On traîne les pieds, on y va à reculons, on tergiverse. On ne veut pas la vérité, on veut la paix. Non, pas la paix. La tranquillité. La vérité est une aventure, or on veut être tranquille, peu importe le prix. Mais un roman ne doit pas sacrifier la vérité, il perdrait sa raison d’être, qui consiste à s’y risquer, quelle qu’elle soit. »

L’écriture sème le doute : ce roman est-il une fiction ou une pièce à conviction mobilisée dans un procès réel ? La narratrice est-elle un avatar à peine masqué de l’autrice, mêmes initiales, même prédilection pour l’autofiction, même notoriété, même deuil d’un fils, même expérience de lynchage médiatique ? La confusion vient aussi des glissements de la première à la troisième personne, d’un point de vue à l’autre, tournoyant autour de cette fameuse vérité.

« Mon amour, ai-je pensé. Mon doux, mon tendre, mon merveilleux amour. »
« Souvent, au théâtre, au cinéma, Claire Lancel a assisté à des scènes conjugales, des disputes – elle se souvient d’Ingmar Bergman et de Pascal Rambert, et combien c’était vivant dans le féroce. Les mots ne disputent pas, justement. La violence des mots vides est audible, soudain, dans une scène de non-vie. Et puante. L’oreille a du nez : ça sent la mort. La langue a rendu l’âme. Le cliché est une charogne. La langue morte, le tue-l’amour. Les lieux communs des mots défunts. »

Je suis sidérée de constater à quel point Ta promesse résonne avec une autre lecture récente, Bien-être, de l’Américain Nathan Hill. Une même interrogation des croyances que l’on projette dans une rencontre amoureuse et de leur malléabilité au moment où l’on commence à les réinterpréter. Une même déconstruction des clichés et formules amoureuses tellement éculées qu’elles finissent par perdre leur sens. Une restitution subtile de la manière dont la mécanique familiale infuse nos modes intimes. Une même méditation sur ce que peut signifier le mot « vérité ». Les deux romans ont aussi en commun de sonder les mécanismes de la création et les liens réciproques qu’elle entretient avec la vie intime.

Les différences sont très nettes également : le décor est ici français, la personnalité des protagonistes n’a rien à voir, les plumes se démarquent – ample et flamboyante dans Bien-être, très moderne ici, ponctuée de témoignages, de longs dialogues, d’extraits des textes écrits par son personnage et de vers libres (qui ne m’ont pas trop parlé). Et la sexualité joue ici un rôle beaucoup plus important.

J’ai aimé la férocité avec laquelle Camille Laurens dégomme les lieux communs du lien amoureux et la force avec laquelle sa protagoniste a tout de même envie d’y croire. La précision de son analyse des formes contemporaines et perverses de narcissisme. Mais j’ai préféré l’humour de Nathan Hill dont je n’ai pas vu passer les 700 pages alors qu’ici, je dois dire que je me suis parfois impatientée face à l’évocation d’une vie de couple dont beaucoup d’aspects me hérissaient.

Ta promesse dissèque le langage amoureux, ses illusions et ses violences, jusqu’à en exposer la vacuité. Ce jeu sur les mots, les souvenirs et la construction du réel fait toute sa force. Là où Bien-être m’a séduite par son ampleur et son ironie, Ta promesse frappe par sa sécheresse clinique et son sens du vertige. Deux modes singuliers d’interroger la façon dont nous racontons nos histoires d’amour – et la vérité que nous voulons bien leur accorder.

Lu en mars 2025 – Gallimard, 22,50€

7 commentaires sur “Ta promesse, de Camille Laurens (Gallimard, 2025)

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  1. Merci pour cette fine analyse sur ce roman dont la construction semble distiller le doute tout en offrant aux lecteurs une mise à plat du lien amoureux. Je pense le découvrir à l’occasion si possible en version audio, une forme qui me plaît bien pour les romans contemporains.

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