Devenir Agatha Christie, de Natacha Henry (Albin Michel, 2025)

Si je vous dis arsenic, pudding, petites comptines et jardins anglais, mon petit doigt me dit que vous penserez bien sûr à elle : la reine du crime, la fondatrice du Whodunnit, la mère du cosy crime – allez je ne vous mettrai pas le couteau sur la nuque, il s’agit évidemment d’Agatha Christie !

Tout le monde l’aura reconnue, son œuvre est célébrissime. Avec elle, qu’on se rende au golf ou à la bibliothèque, dans le village anglais de King’s Abbot ou un hôtel de luxe sur le Nil, à Bagdad ou en Mésopotamie, on sait qu’on a rendez-vous avec la mort. Mais pas d’inquiétude ! La mort n’est pas une fin. Et puis ce ne sera ni trop sanglant, ni trop éprouvant : entre salons feutrés, révisions de testaments, mariages secrets et meurtre au champagne, l’enquête peut être savourée pleinement, sans heurts ni hémoglobine, en se concentrant sur le plaisir du jeu – recouper les indices, débusquer les incohérences, et tenter de devancer ce prétentieux d’Hercule Poirot. Simply irresistible !

Ce qu’on connaît moins, c’est elle, Agatha, qui est toujours restée très réservée et refusait les interviews et les apparitions publiques. Pourtant, sa vie est loin d’être banale. J’ai été ravie d’en découvrir les grandes lignes grâce au roman que lui consacre Natacha Henry dans la collection litt’ (chez Albin Michel) qui rend hommage à des personnalités hors du commun. Les différentes vies d’Agatha, tour à tour infirmière, exploratrice, archéologue, musicienne et écrivaine éclairent les contours de son œuvre. On comprend par exemple comment elle s’est retrouvée à utiliser plus de trente poisons différents dans ses intrigues, ou bien où elle est allée chercher l’idée d’embarquer à bord de l’Orient-Express. C’est facile à lire, prenant et divertissant. C’est le destin, au travers d’un siècle mouvementé, d’une femme attachante qui repoussa les limites de l’horizon féminin de son époque.

Par contre, vous allez peut-être trouver que ma plume est empoisonnée, mais je vais jouer cartes sur table : je reste assez réservée à l’égard du genre de l’autobiographie romancée. C’est un exercice très délicat et contraignant. Ici, ni la plume ni les dialogues ne m’ont autant emportée que dans d’autres récits également inspirés de faits réels, mais qui assument pleinement leur dimension fictionnelle – comme le superbe Miss Charity de Marie-Aude Murail. Si le prologue explique que tout est très documenté, je n’arrive pas à m’empêcher de me demander ce que l’autrice projette. D’autant plus que j’ai été passablement agacée de l’omniprésence du mari (enfin des maris) d’Agatha Christie dans ces pages, me donnant l’impression que tout tournait autour d’eux. Archie Christie va-t-il recontacter Agatha après leur rencontre ? Quand leur mariage pourra-t-il avoir lieu ? Pourquoi est-il chiffonné ce matin ? Du début à la fin, le récit est borné par des évènements maritaux. Je ne connais pas assez la vie d’Agatha Christie pour envisager un bornage alternatif, mais ce choix me semble malheureux.

Ce portrait romancé reste distrayant et a le mérite de remettre la femme derrière la légende au cœur du récit – même si, à mon goût, elle aurait mérité un peu plus de place !

Lu en mai 2025 – Albin Michel, 16,90€

3 commentaires sur “Devenir Agatha Christie, de Natacha Henry (Albin Michel, 2025)

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    1. C’est ce qu’il me semble ! Cela dit, après avoir regardé les quelques autres avis postés sur ce roman, j’ai l’impression d’être la seule à avoir tiqué là-dessus. Cela vaut peut-être le coup de se faire sa propre idée.

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