Circé, de Madeline Miller (Pocket, 2019)

Pour avoir passé d’innombrables et merveilleuses soirées à lire en famille l’adaptation des textes homériques en feuilletons illustrés par Murielle Szac, je pensais connaître sur le bout des doigts l’histoire mouvementée de l’Olympe et des tribulations humaines entre Ithaque et Troie.

Jusqu’à ce que je lise Circé, de Madeline Miller.

Ce n’est pas tellement que l’autrice américaine m’ait fait découvrir des épisodes ou personnages à côté desquels je serais passée. Son roman reprend pour l’essentiel les mythes connus, ceux qui ont été transmis de génération en génération et maintes fois déjà revisités. Mais en renversant la perspective pour faire une héroïne à part entière de celle qui n’était initialement qu’un personnage secondaire (illustre surtout pour avoir transformé en cochons l’équipage d’Ulysse et pour avoir été immortalisée par John William Waterhouse), Miller lui donne une voix et développe une vision moderne et féministe des mythes grecs.

Circe invidiosa, de John William Waterhouse (1892)

On réalise à quel point les narratifs durcis par le temps, qu’on a toujours pris pour argent comptant, sont unilatéraux et, à bien y regarder, peu plausibles. On s’étonne presque de ne jamais avoir levé un sourcil devant l’enchaînement des événements, la passivité des figures féminines, la sauvagerie brutale et souvent absurde qui gouverne ces mythes. C’est tout l’intérêt du roman : en changeant d’angle, il révèle les failles de ce récit dominant. Le procédé est puissant et, pour tout vous dire, presque magique !

De la magie, il y en a d’ailleurs beaucoup dans ces pages qui voient Circé se muer d’une nymphe effacée en sorcière capable de défier, dieux, titans, monstres… et hommes. On croise les plus redoutables des divinités olympiennes et on reconnaît les épisodes classiques qui n’en restent pas moins spectaculaires – des sévices du Minotaure à la mort d’Icare, en passant par la toison de Jason, la guerre de Troie et la création d’un terrible monstre marin, quelles aventures ! Mais chacune semble éclairée d’un jour différent qui donne l’impression de les découvrir pour la première fois.

« Ils se fichent que tu sois gentille. Ils remarquent à peine si tu es méchante. La seule chose qui puisse les obliger à t’écouter, c’est le pouvoir. »

Toutefois, Circé n’est pas qu’une succession de péripéties, portées par une plume vive et lyrique. Le rythme ralentit d’ailleurs dans la seconde moitié du roman, plus introspective, où l’action cède la place à une forme de méditation intérieure. C’est sans doute là le cœur du propos : une réflexion puissante sur la condition féminine, dans un monde dominé par les hommes. Quelle place pour une femme qui n’a ni la grâce d’une nymphe, ni la puissance d’une déesse ? Est-elle condamnée à s’effacer, peut-elle se rebeller, s’en sortir en montrant patte blanche ou au contraire en assumant d’être diabolique ? Ou existe-t-il des marges pour être simplement humaine ?

Un roman envoûtant qui montre, puissamment, à quel point toute histoire est façonnée par celui qui la raconte.

Lu en juillet 2025 – Édition Poche chez Pocket, 8,50€

7 commentaires sur “Circé, de Madeline Miller (Pocket, 2019)

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  1. J’ai beaucoup aimé « Circé » de Madeline Miller que j’avais découverte avec son merveilleux « Le chant d’Achille »… Une autrice à suivre je pense. Merci pour ta chronique qui me replonge avec délice dans ce beau livre ! 🙂

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  2. Tu as tellement raison en disant cela  »en changeant d’angle, il révèle les failles de ce récit dominant ». C’est exactement pour ça que j’aime tant les récits de l’autrice, elle renverse complètement le regard qu’on posait sur ces récits !

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