L’éblouissante lumière des deux étoiles rouges. L’affaire des cahiers de Viktor et Nadia (de Davide Morosinotto, 2019)

Vous ne pourrez pas dire que vous n’avez pas été prévenu(e)s !

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Il y a des lectures qui sortent de l’ordinaire. Des romans qui nous surprennent, nous qui en avons pourtant déjà lu tant. Des textes qui portent de belles valeurs et aident à comprendre le monde. Des livres dans lesquels on vit en immersion et qu’on ne referme qu’avec un pincement au cœur et un sentiment immédiat de nostalgie, en pensant aux personnages que l’on vient de quitter et qui nous manquent aussitôt… Le nouveau roman de Davide Morosinotto, comme le précédent d’ailleurs, appartient sans aucun doute à ces pépites littéraire qui restent forcément rares et précieuses.

 

Éblouissante lumière_photoIl nous avait impressionnés et ravis avec Le catalogue Walker & Dawn ? Davide Morosinotto parvient de nouveau à nous couper le souffle avec un objet-livre splendide, travaillé dans les moindres détails : le roman ne se présente pas comme tel, mais comme un rapport de police – enfin, du commissariat du peuple aux affaires intérieures, puisque nous sommes propulsés dans l’Union soviétique de l’année 1941, au moment où le pays est attaqué par l’Allemagne national-socialiste. Rapport de police lui-même essentiellement composé par les fameux « cahiers », sorte de journal tenu par les jumeaux Viktor et Nadia, annotés avec beaucoup de zèle par le colonel Smirnov, en charge de l’enquête concernant leur « affaire ». Reconnaissez que tout cela a de quoi nous intriguer !

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De quoi s’agit-il donc dans cette affaire ? Face à l’attaque de l’armée allemande, Viktor et Nadia, bientôt treize ans, doivent quitter leurs parents et évacuer leur ville de Leningrad avec des milliers d’autres enfants. L’opération ne se passe pas comme prévu et, pour la première fois de leur vie, les jumeaux sont séparés. À travers leurs récits quotidiens, écrits à l’encre rouge (pour Viktor) et bleue (pour Nadia), nous suivons en retenant notre souffle leurs aventures et l’évolution du conflit, avec de magnifiques cartes et des documents et photographies multiples à l’appui : pourquoi certains enfants n’ont-ils pas été conduits à la destination prévue ? À qui se fier dans un pays miné par la guerre, mais aussi par la dictature ? Viktor et Nadia parviendront-ils à survivre et à se retrouver ?

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Ce roman est avant tout un formidable récit d’aventures, dont l’intrigue est véritablement passionnante : il a toujours été difficile de décider quand interrompre la lecture ! Au passage, on apprend mille choses sur l’Union soviétique dont l’histoire est restituée avec beaucoup de finesse par l’auteur qui évoque l’hiver et la géographie russe, la révolution d’octobre, l’idéologie communiste, la religion, les organisations de jeunesse, les baraki, les kolkhozes, les goulags… La mise en page et les documents mobilisent une iconographie russe, avec notamment des légendes en cyrillique ou des symboles du communisme, qui viennent encore renforcer la crédibilité de la mise en scène et qui ont beaucoup intéressé Hugo. Les nuances sont distillées avec beaucoup d’habileté par le biais de la narration à plusieurs voix – celle de Viktor, qui aspire intensément à être « un bon frère, un bon pionnier, un bon fils, un bon écolier, un bon camarade » mais n’hésite pas à enfreindre les lois lorsqu’il s’agit de rejoindre sa sœur ; Nadia, si spontanée et peut-être plus distanciée vis-à-vis du régime ; et Smyrnov, dont les annotations incarnent tout ce qu’il peut y avoir d’arbitraire dans l’exercice de la justice dans un régime non-démocratique et en période de guerre. L’écriture enfantine est vive, débordante de fraîcheur et de générosité. Davide Morosinotto évite parfaitement l’écueil d’une lecture trop « nationale » du conflit : comme le discours du commissaire Molotov, qui précise que la guerre « n’est pas imputable au peuple allemand », certains personnages rappellent qu’il y a eu des communistes et des résistants au national-socialisme en Allemagne, comme il y a eu des collaborateurs dans d’autres pays.

Car les deux protagonistes font de belles rencontres, avec des personnages auxquels il est impossible de ne pas s’attacher. On vibre pour chacun d’entre eux, à l’évocation des épreuves et des horreurs de la guerre. Et en même temps, le duo de narrateurs et leurs amis portent un intense message d’espoir, ne baissant jamais les bras et parvenant dans chaque situation à faire preuve de discernement, restant droits, courageux et généreux dans un monde où tous les repères sont brouillés.

Dans sa note finale, l’auteur écrit : « J’ai toujours cru dans la force des histoires et dans l’importance des livres. Et, comme le dit Nadia à un moment donné, je crois que nous avons le devoir de nous rappeler ce qui s’est passé. Et de nous battre pour que cela ne se reproduise plus. » Ainsi, L’éblouissante lumière des deux étoiles rouges n’est pas seulement un récit atypique et captivant : c’est un roman important qu’il était urgent de lire.

Extraits :

« – Hé là, hé là ! j’ai dit. On est tous de bons communistes, pas vrai ? On n’a pas besoin de se voler nos provisions. Ceux qui ont quelque chose à manger, ouvrez vos sacs, on va partager le tout.
L’échalas a laissé retomber le petit et s’est dirigé vers moi, en traînant les pieds sur ce qui restait de paille.
– Et toi, tu es qui pour donner des ordres ?
– Viktor Nikolaïevitch Danilov, j’ai répondu. À qui ai-je l’honneur de parler ?
L’autre a craché par terre, en manquant de peu une jeune fille.
– À quelqu’un capable de te mettre une raclée si ça lui chante. Alors comme ça, tu es un bon communiste ? Moi, j’ai plutôt l’impression d’être en face d’un de ces types qui parlent toujours de partager mais qui gardent leur chocolat pour leur pomme.
Oh, c’était donc ça. Il avait repéré que j’avais du chocolat. J’ai dit :
– Kostia, ouvre mon sac, prends ce qu’il y a dedans et commence à le couper en parts égales. Un bout pour chacun. »

« Le fleuve sépare les îles de Leningrad de la terre ferme, vers le sud. Au nord, il y a l’armée finlandaise qui avance. À l’ouest, le golfe de Finlande, et à l’est, l’immense lac Ladoga.
– Voilà pourquoi le match se joue à Chlisselbourg, mon garçon. Et si nous perdons…
– Si nous perdons ?
– Alors Leningrad sera isolée pour de bon. Le siège de la ville pourra commencer. Et ce sera fichu.
D’après la carte, moins de trente kilomètres séparent Mga de la petite ville de Chlisselbourg.
J’ignore ce qui est arrivé au train 76, mais pourvu que ma sœur soit loin, très loin de cet endroit.
Tiens bon, Nadia. J’arrive.
Et je jure que je te retrouverai. »

Lu à voix haute en juin 2019 – École des loisirs, 18€

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