La colère et l’envie, d’Alice Renard (Éditions Héloïse d’Ormesson, 2023)

Isor est une enfant singulière. Son mutisme, son intransigeance font penser au spectre autistique mais elle résiste à tous les diagnostics, faisant passer ses parents de la perplexité et l’étonnement au désarroi. Cette fille qui vit tout avec autant d’intensité n’est pas de tout repos et le foyer se replie petit à petit sur lui-même. La rencontre avec Lucien, un voisin septuagénaire, va bousculer cet équilibre fragile…

D’autres l’ont dit, c’est incroyable d’écrire comme Alice Renard à 21 ans seulement. Je ne parle pas seulement de la limpidité presque poétique de ses mots, mais de la justesse avec laquelle elle se coule dans la peau d’une petite fille hors-normes, de ses parents ou d’un homme vieillissant. La voix de chacun s’impose d’emblée. J’ai été notamment touchée par la perspective des parents : la curiosité ressentie vis-à-vis de leur enfant, leur confusion de constater qu’elle n’est pas comme ils l’attendent, le bouillonnement des sentiments de culpabilité, de colère et d’acceptation et pourtant la tendresse qui affleure à chaque instant, leur solitude et leurs liens minés par les épreuves. Mais aussi la difficulté de voir son enfant grandir et se détacher, d’accepter de le laisser voler de ses propres ailes. Comment l’autrice imagine-t-elle tout cela alors qu’elle sort elle-même à peine de l’adolescence ?

« Isor a tracé ce cercle autour de nous (involontairement ?). À l’intérieur, elle a tressé ce qui était naturel avec ce que ce qui était inouï, ce qu’il fallait faire avec ce qu’il ne fallait pas faire, elle a bouleversé la norme et l’évidence en les faisant glisser vers son invraisemblance et son improbable à elle. Elle a commencé à nous faire vivre là-dedans en nous faisant digérer ses évidence. En nous soustrayant du réel. »

Le roman donne à réfléchir au manque d’ouverture de nos sociétés à l’égard des personnes qui déroutent. Le passage où le père liste les réflexions reçues de part et d’autre de leur entourage à propos d’Isor serait franchement drôle si ce type de réactions n’engendrait pas autant de souffrances.

N’allez pas imaginer que c’est une lecture pesante. Comme le titre le laisse entendre, Isor a quelque chose de profondément intrigant qui éveille la curiosité. On pressent une part de lumière qu’il faudrait savoir apprivoiser. Je n’en dis pas plus pour vous laisser le plaisir de vous laisser surprendre.

La narration chorale, particulièrement réussie, sublime le personnage d’Isor, éclairé de plusieurs perspectives qui dessinent le portrait d’une fille insaisissable.

Alice Renard a trouvé sa vocation et signe un premier roman incandescent, ode aux mots qui bâtissent des ponts entre nous et les autres !

Lu en mars 2024 – Héloïse d’Ormesson, 18€

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