
Fatima fut un jour une fillette qui aimait regarder les étoiles du haut de l’arbre de ses parents. Aujourd’hui, elle est Sankofa, celle qui sème la terreur dans tout le Ghana. Que s’est-il passé ? Sankofa a-t-elle vraiment été adoptée par la Mort ? Quel est son but, désormais, et où la mènera-t-il ? Tout commence en tout cas avec une graine tombée du ciel…
« C’est moi, appela-t-elle. La Mort vient vous rendre visite. »
Attirés par la splendide couverture de ce roman, mon aîné de 13 ans et moi nous sommes aventurés séparément dans ses 168 pages gorgées de senteurs de karité et de bananes plantain frites, de clameurs de marché et de superstitions. Son univers afrofuturiste nous a agréablement pris de court en imaginant un Ghana colonisé par des multinationales et des technologies avancées – robots, drones, « geltélés »… Pourtant, nous avons été déstabilisés par son intrigue mouvante. Il n’y a pas un élément perturbateur et une résolution, mais une sorte de cheminement. Beaucoup de nos interrogations resteront en suspens, par exemple à propos du sens de ce qui arrive à la protagoniste : pourquoi elle ? Ou du renard qui la suit : symbolise-t-il quelque chose, est-il une référence au Petit Prince ? D’autres questions se résoudront, mais de manière décevante, donnant l’impression que l’intrigue a entre-temps rebondi sur autre chose.
In fine, j’interprète ce texte comme une expérience de pensée : imaginons qu’une jeune fille développe un pouvoir immense, quelles seraient les réactions ? À quel point pourrait-elle se sentir dépassée par ses propres pouvoirs ? Serait-elle admirée ou au contraire crainte et ostracisée ? Aurait-elle une chance de vivre une vie normale ou serait-elle condamnée à mener une existence de « sorcière » ? Ne risquerait-elle pas d’être instrumentalisée ? D’un côté, nous avons une adolescente qui grandit et s’efforce d’assumer un destin qu’elle n’a pas choisi, dont la puissance souligne la multiplicité des situations où les femmes sont en situation de vulnérabilité. D’un autre, on pressent que Sankofa pourrait devenir un contre-pouvoir face aux dérives capitalistes et néo-impérialistes – et en particulier à la multinationale pharmaceutique LifeGen qui semble être en train de coloniser l’Afrique. C’est peut-être là le sens de tout…
Il est aussi question d’euthanasie, de traumatisme, de trahison ou de data. Cela fait beaucoup pour un texte aussi court. Il y a énormément de sujets mais ces derniers sont traités en surface, souvent sous la forme de sous-entendus. On ne cernera par exemple jamais complètement ce qu’est LifeGen. Je pense que c’est voulu, l’idée est certainement de faire deviner la noirceur de l’univers à partir de traits esquissés ici ou là et de laisser l’imagination du lecteur faire le reste. Nous aurions pour notre part aimé que l’univers soit plus étoffé. Il nous semble que cela aurait pu aider à renforcer la cohérence des différents fils d’intrigue.
En tout cas un texte qui nous entraîne loin, très loin des sentiers battus !
Lecture commune avec mon moussaillon de 13 ans, mars 2023 – L’école des loisirs, 15€
Dommage ! Je suis très curieuse de découvrir ce texte depuis l’annonce de sa sortie (la couverture est magnifique et interroge) mais ta critique me refroidit un peu… Je verrai si l’occasion se présente pour me faire ma propre opinion.
J’aimeJ’aime