L’île des Porte-Chance, de Lucie Heiligenstein (Scrineo, 2023)

Sur cette planète immobile, certains continents sont plongés dans la lumière, d’autres dans l’obscurité. On ignore ce qui s’y passe mais les réfugiés affluent en nombre en Aube grise méridionale, une petite île située à la lisière entre jour et nuit. Les uns s’efforcent d’aider les nouveaux arrivants, les autres réclament des restrictions et une loi sur l’immigration est en débat. Émérance Esperandieu ne se sent quant à elle guère concernée par la politique : elle se borne à mettre son don de Porte-Chance au service du Conseil. Pourtant, lorsqu’un meurtre est commis et que son propre passé ressurgit, elle se retrouve rattrapée par la tension qui monte sur l’île. Elle décide alors de protéger son fils adoptif, Lou, en l’envoyant au Midi…

C’est très chouette de voir tout le potentiel de l’univers déployé par Lucie Heiligenstein à partir de deux hypothèses somme toute parcimonieuses : l’existence de Porte-Chance et l’absence d’alternance entre jour et nuit. Dès le prologue, on brûle d’en savoir plus sur les événements qui semblent ravager les Terres obscures ou l’histoire trouble des différents personnages. Des parallèles peuvent bien sûr être faits avec le sort réservé aux migrants et aux minorités dans nos sociétés, mais il y a aussi des réflexions plus métaphoriques sur les enjeux politiques de l’opacité et de la transparence, ou la chance qui est souvent à double-tranchant – les uns pâtissent de la bonne fortune des autres. Tout cela est très intéressant et bien ficelé.

Pourtant, il me semble que le roman n’a pas pleinement exploité son potentiel. Toute la première partie nous a mis en appétit en décrivant assez précisément le fonctionnement politique de l’île et ses clivages politiques. Mais le reste du monde est finalement balayé assez rapidement par le biais de la quête initiatique de Lou – « cette planète est-elle minuscule ? » s’est interrogé mon moussaillon de douze ans. L’univers n’est pas aussi creusé qu’il aurait pu l’être. Par exemple, différents districts sont nommés au départ dont je pensais qu’ils présenteraient des caractéristiques exploitées pour l’intrigue comme dans Hunger Games, mais ce n’est pas le cas. Certains des fils d’intrigue qui avaient piqué notre curiosité (l’affaire criminelle, la généalogie de Lou ou la mystérieuse maladie qui alimente les fantasmes sur les réfugiés par exemple) se résolvent finalement de manière un peu facile et donc décevante. Je pense que sur la base d’une intrigue un peu moins linéaire, il y avait matière à développer au moins une trilogie !

Si nous aurions aimé plus d’ampleur, nous avons apprécié la poésie de l’univers, les surprises réservées par le voyage initiatique de Lou et l’ambiguïté de nombreux personnages. Nous avons pris grand plaisir à découvrir une jeune plume en plongeant dans L’île des Porte-Chance et nous suivrons attentivement les prochaines parutions de Lucie Heiligenstein.

Lu à voix haute en mars 2023 – Scrineo, 18,90€

5 commentaires sur “L’île des Porte-Chance, de Lucie Heiligenstein (Scrineo, 2023)

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  1. Même sensation d’univers tentant et original mais déception face à son exploitation bien trop légère.
    Ça arrive souvent dans les romans jeunesse et je ne trouve pas ça normal. Les jeunes aussi peuvent appréhender des choses fouillées et complexes.

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    1. Oui, après ce billet est sans doute un peu sévère parce qu’en commençant ce roman, nous nous sommes dit qu’il allait être génial. Il n’est pas mal du tout, mais juste pas à la hauteur des attentes qu’il a initialement suscitées chez nous.

      Aimé par 1 personne

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