Terres promises, de Bénédicte Dupré La Tour (Les éditions du Panseur, 2024)

Les Terres promises sont celles du grand ouest, ces contrées réputées vierges où au 19e siècle, aventuriers, maudits et désespérés cherchaient à prendre un nouveau départ. Les promesses étaient dorées, la réalité d’une noirceur inimaginable à l’encre de laquelle Bénédicte Dupré La Tour nourrit sa plume. Ayant tout récemment dévoré Mémoires sauvées de l’eau, de Nina Léger, un autre roman dédié aux ruées vers l’or, j’ai immédiatement trouvé mes repères dans ce bourbier gorgé de sang, d’alcool, de sueur, de testostérone, de cendres de rêves carbonisés. Mais surtout, je me suis laissé transporter par des personnages d’une épaisseur surprenante, une construction pleine de surprise et une écriture lyrique qui fait surgir un monde par le simple pouvoir des mots.

Ce roman ressemble aux peaux que Kinta, l’une des femmes inoubliables qui peuplent ces pages, assemble à l’aide de lanières en boyaux : l’autrice coud délicatement ensemble ce qui pourrait au premier abord ressembler à des nouvelles avec chacune sa texture et son protagoniste – la prostituée qui a des comptes à régler, l’orpailleur devenu dingue, la mère qui cherche son fils… Cette forme m’a réjouie, moi qui apprécie les nouvelles pour leur tonicité et leur art de la chute (spectaculaire ici !), mais qui reste souvent avec l’envie de plus. J’ai été ravie de remarquer la manière dont les fragments se répondent, se complètent, se font écho, nous permettant de retrouver ou de redécouvrir certains personnages croisés dans un chapitre précédent. Cela vaut le coup de relire Terres promises une deuxième fois pour constater les résonances qui nous avaient échappé à la première lecture.

Et puis il y a la trame tissée de leitmotivs qui traversent ces histoires et dessinent un fil conducteur : la manière implacable dont les tragédies se referment sur les rêves incandescents, la confusion morale, les rapports sociaux réduits au bras de fer permanent, la solidarité tacite, blanche et masculine des pionniers face aux autochtones, aux femmes, aux enfants. L’ensemble compose une fresque de la naissance d’une nation dans le sang d’une autre.

Pas follement gai tout ça, tiqueront peut-être certains ? Je ne vais pas vous mentir, ce roman est sombre comme une fosse commune par une nuit sans lune. Mais il ne tombe pas dans un pessimisme radical ou une vision désespérée de l’humain. Au contraire, le jeu des nouvelles qui se répondent montre que la violence n’est pas innée, mais alimentée par la violence. On le comprend en lisant ces pages, il serait illusoire de vouloir faire table rase en tournant simplement le dos à sa terre natale : bâtir autre chose nécessite d’établir des fondations saines et de mettre fin au cercle infernal de la brutalité.

Un roman qui étonne et détonne !

« L’immensité rendait à l’homme sa juste mesure, une poussière prisonnière d’une volonté brutale. Entre les hauts plateaux, les colons minuscules avançaient mus par une certitude : une terre les attendait quelque part, une terre sans âge et sans nom, qu’ils méritaient de droit, c’était écrit dans le Livre, et tout ce qui est écrit finit par arriver. Ils traversaient cet espace terrifiant de beauté hostile, persuadés d’obtenir, au-delà des montagnes, une prospérité. Devant eux et à perte de vue s’allongeaient les ombres menaçantes des terres promises. »

Lu en novembre 2024 – Les éditions du Panseur, 22€

6 commentaires sur “Terres promises, de Bénédicte Dupré La Tour (Les éditions du Panseur, 2024)

Ajouter un commentaire

  1. Oh la la, j’ai été subjuguée par ta chronique… très agréable à lire et vraiment passionnante. Merci à toi pour la découverte… Je me note ce livre qui me paraît vraiment très bien et intéressant !

    J’aime

    1. Merci beaucoup ! Je me souviens très bien de ton propre coup de coeur et que tu avais particulièrement apprécié Kinta. C’est vrai que son personnage et son histoire font forte impression, ça me réconcilierait presque avec le format des nouvelles !

      Aimé par 1 personne

Répondre à Antigone Annuler la réponse.

Site Web créé avec WordPress.com.

Retour en haut ↑