Tout le bruit du Guéliz, de Ruben Barrouk (Albin Michel, 2024)

Ce premier roman revient sur une étrange équipée dans le quartier du Guéliz, à Marrakech, pour venir en aide à la grand-mère de l’auteur. Cette dernière est aux prises avec un intrus. Un cambrioleur ? vous demanderez-vous peut-être. Un visiteur importun ? Un démarcheur ? Un insecte envahissant ? Non, ce qui tourmente la vieille dame au point de lui voler son sommeil depuis des semaines, c’est un bruit. LE bruit. L’auteur finit par venir de Paris avec sa mère pour tirer l’affaire au clair…

L’intrigue est curieuse à souhait et la plume, très agréable, ouvre une porte sur Marrakech et son ancien quartier juif. La grand-mère est un sacré personnage, adepte de rites religieux et de chocolat, habitée par un passé révolu. Certaines scènes sont poignantes, comme lorsque l’aïeule célèbre seule Pourim ou continue de mettre le couvert pour les proches disparus. D’autres sont drôles, égayées par la lecture de l’horoscope d’un magazine de 1983, la confusion du bruit et de la voix du muezzin ou l’épisode improbable qui voit le trio enfermé dans le mausolée d’un saint entre les saints.

« Il y avait bien longtemps que le Rav Hanania Hacohen, dans son éternel repos, n’avait pas entendu de bruit. Le seul bruit était celui que nous amenions. Le bruit d’une clef plongée dans une serrure, d’une porte lourde, de nos pas traînés sur le carrelage blanc, du soupir bavard de ma grand-mère, le bruit de nos prières. Nous étions venus gâcher le silence et demander au saint de faire cesser le bruit. Rav Hanania Hacohen avait de quoi nous prendre pour une équipe de fous. ‘Il n’y avait pas de bruit avant que vous ne veniez, dirait-il. Et maintenant, vous me demandez d’arrêter le bruit.’ »

En lisant ces pages, on réalise comment l’escalade des tensions entre juifs et arabes a mis fin à une cohabitation paisible dans les villes du Maghreb et contraint de nombreuses familles à s’exiler, une fois de plus.

« Quand l’exorde des conflits israélo-arabes fut donné, quand les ombres de la guerre s’étendirent au Maroc, alors presque tous les juifs de Marrakech quittèrent le pays, et le Mellah avec. Pour la plupart, les populations migrèrent vers Israël, les États-Unis, le Canada ou la France, laissant leurs maisons et leurs commerces à l’abandon et aux mains de l’oubli. »

Le temps semble se suspendre au fur et à mesure du pèlerinage et la mélancolie prend le dessus. On réalise que le mystère qui avait piqué notre curiosité était plutôt un prétexte pour dépeindre une ville, un quartier, les déchirures d’une génération.

Un premier roman à fleur de plume, de ceux qui continuent de vous hanter une fois refermé.

Lu en décembre 2024 – Albin Michel, 19,90€

7 commentaires sur “Tout le bruit du Guéliz, de Ruben Barrouk (Albin Michel, 2024)

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    1. C’est assez impressionnant d’arriver à une telle visibilité avec un premier roman publié à 27 ans. Si tu as l’occasion de l’emprunter, tu devrais vite voir si le registre assez particulier, un peu hors du temps comme je le disais dans ma chronique, te parle ou pas.

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