
« J’aime mon mari comme au premier jour, d’un amour adolescent et anachronique. Je l’aime comme si j’avais quinze ans, comme si nous venions de nous rencontrer, comme si nous n’avions aucune attache, ni maison ni enfants. Je l’aime comme si je n’avais jamais été quittée, comme si je n’avais rien appris, comme s’il avait été le premier, comme si j’allais mourir dimanche. »
Page après page, on prend la mesure des sentiments dévorants qui consument sans répit la narratrice. Le simple fait de prononcer les mots « mon mari » la fait frissonner d’exaltation. Tandis que d’autres brûlent d’un amour impossible, contrarié ou non-réciproque, elle vit une passion dévastatrice pour l’homme qui partage son quotidien depuis quinze ans et qui l’a épousée. Du matin au soir, au travail, à la maison, en famille ou chez le coiffeur, elle pense à son conjoint.
Cette ferveur est si excessive qu’elle ferait presque rire, de prime abord. Puis les jours de la semaine s’égrenant comme le tic-tac d’une bombe à retardement, le doute s’immisce.
Troublantes, ces manies de scruter et ressasser le moindre geste à la recherche d’indices d’une attente ou d’une crise. Cette obsession maladive de cartographier la moindre parcelle de la personnalité de l’être aimé. Ce théâtre minutieux mettant en scène les images d’Épinal de couple parfait qu’elle projette. Cette impulsion irrésistible de prendre sur elle au-delà du supportable pour accommoder les besoins de son mari. Cette soif douloureusement paradoxale qui ne semble pas pouvoir être assouvie.
Maud Ventura distille subtilement les indices qui placent ce journal sous tension (certains ne m’ont sauté aux yeux qu’à la relecture). Sa narratrice, personnage détonnant démontre par l’absurde les contradictions des idéaux de couple « vintage ». Ses spirales de pensée décortiquent avec une justesse terrifiante les paradoxes, les compromissions et le lot de narcissisme qu’implique une passion amoureuse.
Un roman original, addictif et divertissant.
Lu en avril 2022 – L’iconoclaste, 19€
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