La petite fille, de Bernhard Schlink (Gallimard, 2023)

Déchirements allemands

Le Liseur est un des livres qui m’ont le plus marquée. Quand j’ai vu que son auteur publiait un nouveau roman ancré dans l’histoire de l’Allemagne, je n’ai fait ni une ni deux.

J’ai été très vite embarquée par ce texte-gigogne qui entremêle en réalité plusieurs romans. Il y a d’abord une histoire d’amour : Birgit étudie à Berlin Est, Kaspar à Berlin Ouest, ils tombent amoureux lors d’une improbable rencontre de jeunes organisée à Berlin en 1964, il l’aide à fuir la RDA dans des circonstances rocambolesques, ils restent ensemble mais les choses sont compliquées. Pourquoi ? Une partie de l’énigme se dissipe avec le deuxième roman, autobiographique : celui qu’écrivait Birgit avant de mourir dans des circonstances troubles et dont la lecture révèle à Kaspar qu’il ignorait des pans entiers de l’existence de sa femme. Cette découverte noue un nouveau fil d’intrigue, celui de l’enquête désespérée qui s’ensuit et qui va entraîner Kaspar au cœur de communautés d’extrême-droite implantées dans l’Est de l’Allemagne. Puis il y a les répercussions de l’enquête qui nous entraînent encore sur un tout autre terrain, à la fois plus politique et plus intime…

Et que vient faire cette petite fille dans cette histoire, demanderont ceux qui suivent ? Et bien, je vous laisserai lire le roman par vous-mêmes pour ne pas vous gâcher le plaisir de la découverte !

Tout cela est très bien imbriqué et donc très prenant. Les perspectives des différents personnages soulignent les déchirements individuels et l’incompréhension générés jusqu’à aujourd’hui par la division de l’Allemagne. Elles disent les blessures des Allemands de l’Est qui, sans être nostalgiques du régime, trouvent difficilement leur place et ne se sentent plus chez eux nulle part. Les frustrations de ceux qui se sentent trahis par les promesses de la réunification qui n’a jamais complètement abouti. Le poids des mensonges et des secrets. L’imperméabilité des mentalités de part et d’autre, les difficultés de communication.

J’ai aimé les nuances avec lesquelles le roman évoque l’histoire allemande. Chez Schlink, le ton est toujours légèrement didactique. J’ai été particulièrement intéressée par les descriptions de scènes néonazies qui restent relativement méconnues.

Mais j’ai surtout été touchée par la tendre maladresse du personnage de Kaspar qui s’empare avec une telle humilité de la quête que sa femme n’a pas eu la force de mener. Son cheminement parle du deuil, de la nostalgie d’une famille qu’on n’a jamais eue, de la difficulté de s’extraire des schémas de pensée dans lesquels on a été endoctriné.

On pourra critiquer la tolérance de Kaspar, sa crainte que les portes se ferment qui l’incite à comprendre, son espoir naïf de voir les gens devenir meilleurs par la musique et la littérature. Mais il n’y a pas de solution simpliste aux conflits qui traversent ce roman. J’ai été émue de lire dans la presse qu’il était d’inspiration autobiographique – parfois, la réalité dépasse la fiction.

Lu en juillet-août 2023 – Gallimard, 23€

10 commentaires sur “La petite fille, de Bernhard Schlink (Gallimard, 2023)

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  1. J’avais adoré « le liseur » également ! Celui-ci a l’air assez fort également dans un autre genre. Le contexte est intéressant, reste à voir si les personnages sauront me toucher… Merci pour la découverte !

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    1. J’ai été ébahie d’apprendre que toute la première partie sur l’histoire de Kaspar et Birgit est quelque chose que l’auteur a lui-même vécu et qu’il ne l’avait jamais raconté. La partie sur le secret de Birgit et la quête qui s’ensuit est fictionnelle.

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