Leurs enfants après eux, de Nicolas Mathieu (Actes Sud, 2018)

Été 1992, une commune quelque part en Lorraine, son usine désaffectée, sa ZUP, ses mornes bistrots, son club nautique. Le monde écrasé par la canicule se meurt mais Anthony, Steph, Hacine sont furieusement jeunes et au seuil de la vie.

Ce roman récompensé par le prix Goncourt a révélé la plume magnifique de Nicolas Mathieu. La construction autour de quatre étés et trois personnages est impeccable. Arriver à mettre sous tension le récit de ces existences stagnantes relève presque du tour de force. C’est l’intensité douloureuse de l’adolescence qui rend ces pages haletantes :  on vibre et on tremble avec les protagonistes, entre désirs électriques, pétards, espérances et doutes existentiels. En toile de fond, c’est une vraie fresque sociale qui se déploie et vient nourrir l’intrigue. La fresque d’une époque rythmée par les sons de Nirvana, d’une France périphérique sur le déclin, de générations entières prises en étau entre leurs rêves et les réalités.

« Les siens, il les trouvait finalement bien petits, par leur taille, leur situation, leurs espoirs, leurs malheurs même, répandus et conjoncturels. Chez eux, on était licencié, divorcé, cocu ou cancéreux. On était normal en somme, et tout ce qui existait en dehors passait pour relativement inadmissible. Les familles poussaient comme ça, sur de grandes dalles de colère, des souterrains de peines agglomérées qui, sous l’effet du Pastis, pouvaient remonter d’un seul coup en plein banquet. Anthony, de plus en plus, s’imaginait supérieur. Il rêvait de foutre le camp. »

C’est triste, bien sûr, mais profondément humain et parfois drôle malgré tout. L’auteur excelle à identifier des situations incongrues qu’il raconte merveilleusement. Et cela m’a réjouie de voir la France des campagnes et des villes moyennes, celle du Picon, des escapades en deux-roues et de la communion éphémère autour de l’équipe « black blanc beur » fournir la matière d’une littérature aussi belle.

Si le dénouement d’un tel roman du « sur-place » n’était certainement pas évident à trouver, les dernières pages sont venues me cueillir, donnant tout son sens au titre.

Un roman qui se démarque à la fois par des accents sociaux plus actuels que jamais et une nostalgie bouleversante.

Lu en mars 2024 – Actes Sud (version poche), 9,90€

5 commentaires sur “Leurs enfants après eux, de Nicolas Mathieu (Actes Sud, 2018)

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    1. Oui, une vraie fresque de la France des campagnes et des petites villes, à travers plusieurs générations et milieux sociaux. Mais ce qui est fort, c’est qu’on est à chaque instant dans l’intrigue, cela ne donne pas l’impression d’une démarche « programmatique ».

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