La petite bonne, de Bérénice Pichat (Les Avrils, 2024)

Certain.e.s auteur.ice.s me sidèrent par leur capacité à développer une intrigue à partir de presque rien : un quasi huis-clos borné par une maison bourgeoise des années 1930, un trio de personnages – la petite bonne qui donne son titre au roman, son maître, sa maîtresse – et un élément perturbateur qui aurait pu rester insignifiant : Madame s’autorise une escapade le temps d’un week-end, laissant son époux estropié, une « gueule cassée » par la Grande Guerre, aux mains de la bonne. Une situation inhabituelle qui bouscule chacun, déclenchant une tectonique humaine inattendue…

À partir de ces ingrédients parcimonieux, Bérénice Pichat compose des personnages et des situations si épais qu’on a l’impression de pouvoir les palper, d’autant plus bouleversants qu’on les apprend à les connaître de plus en plus intimement. Le décor est sombre, chacun des protagonistes est meurtri à sa manière et un drôle de face-à-face se profile dont on se demande s’il tournera au rapport de force ou débouchera sur quelque chose de plus lumineux. Cette dynamique, nourrie par l’alternance très fluide des points de vue, m’a suspendue aux pages que j’ai tournées sans fléchir et m’a prise à la gorge alors que je ne m’y attendais pas. J’ai été très sensible à la manière dont le roman évoque les drames qui font bifurquer les existences, sonde la résonance des rapports de domination sociale et genrée, sublime la manière dont le soin parvient à transcender ces conditions.

« Les cent pas
j’aimerais pouvoir les faire
réellement
Ici c’est cinq pas dans la longueur
à peine trois dans la largeur
et vraiment des petits pas
des traversées
il en faut quelques-unes
pour arriver à cent
C’est long
mais jamais assez
Malheureusement
j’ai tout mon temps
pour compter mes pas
« 

Tout cela servi par une plume intrigante et subtile qui incarne la perspective de chacun des protagonistes par le seul choix des mots et de la syntaxe. Un roman beau et très surprenant.

Lu en septembre 2024 – Les Avrils, 21,10€

10 commentaires sur “La petite bonne, de Bérénice Pichat (Les Avrils, 2024)

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  1. J’aime beaucoup la couverture qui dégage une certaine sobriété intrigante.
    Ce que tu dis sur la dynamique qui se met en place m’intéresse tout comme cette question des rapports de domination sociale et genrée.
    Je te remercie pour cette totale découverte !

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    1. Ça me fait plaisir. Je pense qu’il a tout pour te plaire ! Cela me fait penser que si tu es toujours intéressée, je pourrais volontiers t’envoyer Sister-Ship (je ne te propose pas La petite bonne car je l’ai déjà prêté). Qu’en dis-tu ?

      Aimé par 1 personne

      1. Ca aurait pu m’intéresser mais figure-toi qu’il vient d’arriver à la médiathèque (avec un nombre incroyable de titres de la rentrée). Il est dans mon panier (j’ai aussi réservé le « célèbre » que tu avais présenté). Donc un grand merci mais je vais t’éviter des frais de port 😉

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