Le Club des enfants perdus, de Rebecca Lighieri (P.O.L., 2024)

Il paraît que les chiens ne font pas des chats. Il n’empêche que la protagoniste du nouveau roman de Rebecca Lighieri, Miranda, est aussi frêle et transparente que ses parents sont flamboyants. Quel patrimoine génétique insoupçonné s’est-il donc combiné en cette fille qui semble subir tout ce qui lui arrive ?

« Mais qu’est-ce qu’elle a, cette petite ? »

Ce mystère déconcerte ses parents qui composent chacun à sa manière : Birke fait comme si de rien n’était ; Armand guette toute évolution, s’inquiète, s’interroge, culpabilise, s’impatiente, s’active. Sa manière très directe, presque outrancière, de nous faire part de ces états d’âme est souvent drôle. Dans le rôle du narrateur de la première partie du roman, il ne fait pas dans la demi-mesure pour raconter les rires tonitruants partagés avec Birke, leur excitation permanente, leur quotidien survolté, leur conviction d’être les meilleurs comédiens de leur génération – et la façon dont l’opiniâtre tiédeur et la bizarrerie de Miranda détonnent par rapport à tout ça. J’ai aimé me demander si ce décalage venait de la fille, certes particulière, ou des parents qui ne sont pas mal non plus dans leur genre. Le décor de leur vie est réjouissant aussi tant il fourmille d’acteurs, de trouvailles de mise en scène et de références théâtrales qui interfèrent de manière fascinante dans leurs relations. Bref, j’étais sous le charme.

« Elle m’envoie toute une frise de cœurs et de fleurs, mais je continue à penser qu’il y a quelque chose de pourri dans le petit royaume de Miranda. »

Mais voilà qu’à mi-parcours, la narration bascule pour donner la parole à Miranda qui nous présente en quelque sorte le revers de la médaille, me laissant sonnée. Comment aurais-je pu imaginer à quel point son père se fourrait le doigt dans l’œil ? Et réaliser qu’en lieu et place de la comédie shakespearienne dans laquelle je pensais évoluer, j’avais mis les pieds dans la plus racinienne des tragédies ?

Je n’en dirai évidemment pas plus, me bornant à souligner l’étrangeté de ce roman traversé de phénomènes paranormaux, qui porte la manipulation à des sommets qui ne m’ont pas laissée indemne. Je n’ai rien contre l’irruption du surnaturel en littérature blanche. J’ai bien vu qu’on pouvait lire cette histoire comme une sorte d’expérience de pensée révélatrice d’émotions et vérités indicibles, de la cruauté du monde, de la solitude de ceux qui sont différents, des dons qui peuvent devenir des malédictions. Mais je suis restée franchement mal à l’aise face aux coups tordus de plusieurs protagonistes et à leur incapacité à se comprendre et bâtir une forteresse d’amour qui les abrite de la noirceur environnante.

Bref, ce roman est indéniablement puissant – il m’a happée, divertie, intriguée, interrogée. Mais je n’ai pas suivi ses personnages jusqu’au-bout et je le referme un peu désemparée.

Et ce fameux club, demanderont les plus attentifs ? Cette question m’a taraudée à la lecture de ces pages : « enfants perdus » au sens de égarés pour avoir échappé un instant à l’attention ? « Perdus » car livrés à eux-mêmes par des parents négligents ? Plus largement « perdus » par le bordel caractérise notre époque ? Ou toute autre chose ? Vous n’imaginez tout de même pas que je vais vous le dire !

Lu en octobre 2024 – P.O.L., 22€

6 commentaires sur “Le Club des enfants perdus, de Rebecca Lighieri (P.O.L., 2024)

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    1. That is the question! C’est un roman qui ne laisse personne insensible et pour moi, c’est une qualité. Mais j’ai vu que certains lecteurs étaient rebutés par la manière (très) crue dont certains personnages vivent leur sexualité. Voilà, tu es avertie 🙂

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  1. En voilà une drôle d’histoire !!! Je ne suis pas certaine d’avoir envie de me lancer… mais merci pour la découverte et ta chronique toute en nuance. Et merci pour l’avertissement vu ci-dessous ! 😉

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