
Ann d’Angleterre et moi n’étions pas vraiment destinées à nous rencontrer. Je ne suis généralement pas très adepte du genre de l’autofiction. De surcroît, le dénouement de Propriété privée, seul titre que j’avais lu de Julia Deck, m’avait tellement frustrée que j’étais peu disposée à découvrir ses autres textes. Et pour tout dire, j’étais un peu terrifiée par le sujet du livre – la vie (et la fin de vie douloureuse) de la mère de l’autrice, victime d’un AVC. Sans l’enthousiasme de Corinne, la libraire passionnée de Soulac-sur-Mer, puis de Linda, je n’aurais sans doute jamais ouvert ce roman. Qu’elles soient remerciées, ces pages m’ont prise de court, au meilleur sens du terme !
Avec une sincérité désarmante, Julia Deck dit le choc, le désarroi, l’exaspération mais aussi et surtout l’amour bouleversant voué à sa mère, personnage mystérieux et sacrément attachant. À 84 ans, cette dernière fait fi des statistiques médicales comme elle s’était plus jeune jouée des déterminismes sociaux, s’extrayant du milieu ouvrier britannique pour faire des études et filer à l’anglaise – direction la France. Et elle garde des secrets.
Mère et fille font des expériences kafkaïennes avec l’hôpital, l’assistante sociale, les maisons de retraite. De quoi interpeller sur la solitude de ceux que le sort frappe et la valeur accordée dans notre société à ce que chacun puisse finir ses jours dans la dignité.
« Elle a traversé la guerre, la reconstruction, la Nouvelle Vague, la dolce vita, les swinging sixties… »
Mais le roman ne s’appesantit pas : ce récit s’entremêle avec celui de toute une existence, entre deux pays, des jeunes années à la maternité et à la maturité (évidemment, les deux fils finissent par se rejoindre). C’est finalement un roman plein de vie et de tendresse qui m’a agréablement rappelé Le royaume désuni, où Jonathan Coe racontait la vie d’une Anglaise inspirée de sa mère.
Les femmes de la famille britannique sont autant de variations des aspirations, des conquêtes, des déceptions et formes de résilience féminines.
« Je ne rejoindrai jamais ma mère parmi les Anglais. Je la rejoins dans les livres. La fiction est une langue que nous parlons couramment toutes les deux. »
Last but not least, les livres sont importants dans le quotidien des deux protagonistes qui dévorent : Stevenson, Charles Dickens, Aldous Huxley, Maggie Nelson, Edith Wharton, Doris Lessing, Thomas Bernhard et surtout Ruth Rendell. Ainsi, le roman évoque en toile de fond la manière dont les lectures, l’écriture et la vie se nourrissent et se révèlent réciproquement.
Ce roman m’est allé droit au cœur. Il parvient à me réconcilier du même coup avec la plume de Julia Deck et le genre de l’autofiction !
Lu en novembre 2024 – Seuil, 20€
J’espère qu’il sortira en poche ! Je l’ai beaucoup vu mais j’hésite à me l’acheter grand format puisque j’ai toujours un peu peur… mais ton avis rassure beaucoup
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Je pense qu’effectivement, il sortira en poche après avoir obtenu le Médicis. Et il devrait être dispo dans toutes les bibliothèques 🙂 De quoi te permettre de glisser un oeil dans ces pages et de voir si tu es aussi intéressée que moi par l’histoire d’Ann !
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Moi non plus je n’ai guère été enthousiasmée par ce que j’ai lu de Julia Deck jusqu’à présent. Alors pourquoi pas ce titre puisque pour ma part, je ne suis pas allergique à l’autofiction.
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Dans ce cas n’hésite pas ! Personnellement, je ne suis pas allergique non plus mais le romanesque me manque en cette rentrée littéraire où j’ai l’impression que ça devient rare qu’un titre s’inscrive pleinement dans la fiction. Rien que parmi les titres que j’ai chroniqués ici, j’en vois une sacrée série qui s’ancrent dans des (auto)biographies ou histoires familiales. Houris, Jacaranda, Les guerriers de l’hiver, Le rêve du jaguar, Le syndrome de l’Orangerie, Aucun Respect, Vous êtes l’amoureux du führer, Maniac, Les derniers jours du parti socialiste.
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Je ne connais pas du tout cette autrice… Ta chronique, touchante, me donne envie de découvrir ce livre alors que la fin de vie d’une maman me touche d’un peu trop près, ma maman ayant 94 ans. Mais je le note tout de même… Merci à toi
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Merci beaucoup ! J’espère que ta maman se porte bien. En tout cas, si Julia Deck dit les choses, ce n’est pas pesant de lire ce roman comme je l’avais imaginé.
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Elle va tout doux comme à 94 ans. Merci 🙏
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Comme dis sur insta, je suis contente que tu aies apprécié 😉
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C’est parfois gratifiant de passer outre ses préjugés, merci encore de m’avoir incitée à le faire !
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Avec plaisir ❤
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Je ne lis pas beaucoup d’auto-fiction mais ce livre m’intéresse étant curieuse de découvrir la mère et la fille 🙂
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