Conque, de Perrine Tripier (Gallimard, 2024)

La plume de Perrine Tripier, 25 ans, m’a bluffée dès les premières lignes – limpide, chaque mot ciselé, semblant cristalliser à lui seul un monde n’appartenant qu’à elle. Me voici donc dans un pays tout entier sous la coupe despotique d’un empereur. Martabée, historienne de renom, est appelée à travailler sur ce qui se profile comme le plus grandiose des chantiers de fouilles archéologiques : l’exhumation des restes de la civilisation au fondement des plus grands mythes. Une entreprise vouée à peser de manière décisive sur l’écriture de l’Histoire et du roman national – et qui provoque donc l’engouement du souverain…

« Une linéarité sableuse glissait tout autour ; la crête aiguë de la dune, là devant qui obstruait la mer, filait sans un son sur le ciel. »

Évidemment, on brûle autant que Martabée de découvrir ce que les fouilles vont mettre au jour. Et on n’est pas déçue quand surgissent les vestiges de la civilisation morgonde, décrites de manière si saisissante qu’on a l’impression de les avoir devant soi ! J’ai aimé l’évocation du travail des archéologues, archivistes et historiens, l’excitation palpable sur le champ de fouilles. Les formes d’inférence politique dans ce travail et les dilemmes posés aux scientifiques sont restitués avec justesse, j’y ai été sensible en tant que chercheuse.

« Elle comprit qu’il y avait là sous le sable de la dune un enjeu qui la dépassait complètement. Tout cela engageait, outre l’argent du peuple, l’essence même du pays. »

Le régime est brossé, lui aussi, avec beaucoup de consistance. J’ai été frappée par l’aura de l’empereur, entre majesté et ridicule, le poids de son autorité sur un pays qui semble doté par ailleurs de technologies modernes qui laisserait attendre des fondements de pouvoir plus rationnels. C’est précisément au moment où la nation semble se déliter que le pouvoir cherche à redorer son blason en exhumant des racines somptueuses. Une entreprise aux résonances plus actuelles qu’il n’y paraît à première vue…

Tout cela est tellement intrigant que j’aurais aimé en savoir plus. Là où il y avait matière à développer une ample fresque imaginaire, l’intrigue est assez ramassée, cristallisée autour des fouilles archéologiques qui conduisent à des tensions assez attendues. Cela dit, la plume est si belle, les fulgurances si saisissantes, l’imaginaire si immersif, les réflexions en forme d’hymne à la liberté si pertinentes que le roman vaut absolument le détour.

Lu en décembre 2024 – Gallimard, 19,50€

10 commentaires sur “Conque, de Perrine Tripier (Gallimard, 2024)

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  1. Oh merci Isabelle pour ta chronique et la découverte de ce livre… Je ne connaissais pas du tout l’autrice et avec un pareil titre, j’avoue que je ne me serais pas arrêtée. Mais là tu as éveillé en moi beaucoup de curiosités avec les fouilles. Moi aussi j’aurais adoré être archéologue et plus particulièrement égyptologue… Et tant pis s’il est un peu trop court ! 😉

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