
Pendant notre séjour new-yorkais, nous avons eu la chance de pouvoir séjourner chez mon frère qui habite Washington Square, au cœur de Greenwich Village. C’est là que débute la célèbre 5e avenue qui longe l’Empire State Building que l’on distingue au nord. Au sud, on marche rapidement vers NoHo, SoHo et le quartier financier. Agrémentée d’un parc et bordée par les bâtiments de l’Université de New York, la place voit se croiser des groupes d’étudiants et de professeurs, une population plus marginale et des hordes de joueurs d’échecs qui s’installent sur place ou dans les clubs environnants. On n’imagine pas qu’au début du 19ème siècle, il y avait là un cimetière. Au moment où Henry James y vit le jour en 1843, le lieu était devenu coté suite à l’afflux des classes moyennes et élevées qui s’étaient progressivement déplacées de la pointe de Manhattan vers le nord.

Ce roman fait la part belle au Washington Square en allant jusqu’à lui dédier son titre. La place y représente une adresse bourgeoise, symbolique du statut social de la famille Sloper et nerf de la guerre au cœur de ce roman. En effet, on ne doute pas un instant que c’est à la dot de Catherine Sloper qu’en veut le jeune homme désargenté qui prétend en être tombé follement amoureux. Conscient de son statut et convaincu qu’avec un physique et une conversation aussi fades, sa fille ne saurait séduire quiconque (oui, sympa !), le Dr. Sloper est déterminé à empêcher cette union. Mais le foyer abrite aussi sa sœur, la très sentimentale tante de Catherine. Chacun campe sur ses positions, déclenchant un quadrille complexe et imprévisible…
« She will do as I have bidden her. »
Jusqu’où est-il légitime d’user de son autorité parentale et d’intervenir dans les choix de vie de son enfant pour le prémunir de décisions désastreuses ? Porté par une prose élégante subtilement tintée d’ironie, le roman pose une question intéressante et dissèque chirurgicalement les bouleversements intérieurs des différents personnages et la tectonique de leurs interactions.
Ces derniers n’attirent pas franchement la sympathie, à commencer par le Dr. Sloper qui traite sa fille avec une froideur calculatrice, ne reculant devant aucun moyen pour infléchir ses plans matrimoniaux alors qu’elle fait tout pour arrondir les angles. En même temps, le prétendant est si clairement intéressé et cynique qu’on ne peut s’empêcher de souhaiter que Catherine finisse par renoncer à convoler en justes noces avec lui. Cette dernière est le personnage le plus intrigant. Sous la coupe de son père, docile, présentée comme terne et ennuyeuse, la jeune fille est aussi bouleversée par la romance qui s’amorce. La tante, romantique, excentrique, théâtrale et mue par ses propres intérêts, met de l’huile sur le feu, jouant tour à tour le rôle de confidente, d’entremetteuse et d’intrigante.
Cela fait peu d’ingrédients et j’ai tout de même trouvé que c’était un peu étroit. On reste dans un milieu bourgeois du 19e siècle à l’horizon désespérément limité, pris en étau entre considérations matérielles et projections romantiques. Toute l’intrigue tourne autour des projets de mariage que j’ai fini par trouver insupportables. Cela dit, ce sentiment d’étouffement vient sans doute de la justesse avec laquelle James dépeint le peu de place laissé aux aspirations féminines dans cette société. L’évolution de Catherine est d’ailleurs assez captivante. Sa détermination travaille la relation avec son père à un point qu’on n’aurait jamais cru possible. Sa dignité silencieuse, les modes subtils mais puissants sur lesquels elle affirme son indépendance font d’elle une protagoniste singulière qui a fini par m’émouvoir.
Entre tragédie intime et satire sociale, ce récit simple en apparence développe en réalité une réflexion subtile et toujours d’actualité sur la domination, l’émancipation et la liberté individuelle.

Anecdote pour finir sur une touche plus légère : un arc dédié à George Washington a été érigé sur la place en 1889, quelques années après la parution du roman, pour célébrer le centenaire de l’élection du premier président des États-Unis. Passer devant ce monument tous les jours a été l’occasion d’évoquer plusieurs fois avec mes moussaillons la guerre d’indépendance américaine, la mise en place d’un régime démocratique et évidemment le rôle du fameux Washington. Et bien figurez-vous qu’interrogé sur le premier président des États-Unis dans la rue par deux influenceurs qui réalisaient un quizz, le plus jeune a répondu du tac au tac : « Barack Obama ». Avec un tel équipage, je ne suis pas toujours aidée !
Lu en anglais dans la version originale parue chez Oxford World’s Classics, 6.99£ (une traduction française de 2002 est disponible chez Liana Levi)
Intéressant. J’ai quand même l’impression que beaucoup de romans mettant en avant des femmes à cette époque avait pour thème central le mariage et la quête du partenaire idéal… C’est difficile à notre époque de se projeter dans ce genre de récits mais en même temps ils sont le reflet d’une époque et je les trouve souvent intéressant, pour peu que la plume soit jolie et les personnages intéressants 😉 Merci pour la découverte !
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Oui, tu as raison ! L’horizon était terriblement limité, particulièrement quand on était une femme (et y compris dans la bourgeoisie). Ici la plume est élégante, un peu désuète mais qui se démarque par son ironie subtile.
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Tes anecdotes donnaient une saveur particulière ^^
C’est un Henry James que je n’ai pas lu mais comme souvent chez lui, cette satire m’attire et j’aime le fait que le décor ait son rôle à jouer.
Merci pour la découverte 🙂
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Merci ! Tu en as lu d’autres ? Peut-être as-tu un préféré à mon conseiller pour continuer à découvrir cet auteur ?
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Si le thème du mariage omniprésent peut lasser, la manière dont il est ici présenté semble néanmoins le rendre intéressant d’autant que l’évolution de l’héroïne a l’air de t’avoir plu !
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Tu résumes très bien 🙂
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Il n’a pas répondu Donald Trump, c’est déjà ça !
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Oui, ouf ! En même temps je me dis que comme il est né en 2011, Obama était vraiment le premier président de son point de vue 🙂
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