Les forces, de Laura Vazquez (Éditions du Sous-Sol, 2025)

D’emblée, le texte est singulier – cela semble être la marque de fabrique des éditions du Sous-Sol, dont j’avais déjà dévoré deux pépites inclassables : Les naufragés du Wager (de David Grann) et Mon vrai nom est Elisabeth (d’Adèle Yon). Ici, l’écriture saccadée, le ton introspectif, le flottement des temps posent une voix fragile, en quête de sens. Le monde que la narratrice traverse est saturé de « forces » oppressantes – physiologiques, sociales, économiques. Comment exister dans un tel champ de forces ? Nous voilà entraînés dans une longue spirale réflexive doublée d’une déambulation à la rencontre de figures étranges croisées dans des bars, des maisons ou des sectes, chacune offrant une variation sur les impasses du langage, l’absurdité des comédies sociales ou l’illusion du libre-arbitre.

« J’ai vu dans des appartements les mots : bonheur, sourire, ou gratitude, sur les murs. La plupart du temps, ces niaiseries se présentent sous leur forme anglaise : happiness, love, smile, au-dessus du lit, dans le couloir, ou sur le paillasson. »

Formulées de manière déroutante, ces réflexions visent juste et font mouche. Cependant, l’ensemble est assez filandreux : les dialogues se muent en logorrhées philosophiques ; la narratrice est prise dans un flux continu de pensées noires qui fusent sans répit, glissant d’observations tout à fait concrètes vers des méditations métaphysiques et des images poétiques. Bref, il faut s’accrocher. Et ces pages, l’une après l’autre, m’ont donné l’impression de me laisser aspirer par un nihilisme un peu désespérant (même ChatGPT ne semble pas d’un grand secours ici !).

J’ai donc régulièrement entrecoupé ma lecture de quelques pages du dernier Fabcaro, comme une gorgée d’eau fraîche entre deux gorgées d’absinthe. Et je me suis étonnée de voir des résonances inattendues entre les deux textes. L’un comme l’autre pulvérise les poncifs et l’absurde des conventions, mais Fabcaro le fait sur le mode du rire là où le propos de Laura Vazquez reste très noir même s’il y a ponctuellement des passages très drôles (qui resteront mes préférés).

« J’aurais voulu, par exemple, que les individus, en masse, commencent à porter sur la tête une passoire. Alors, c’est certain, mes parents auraient porté la passoire, parce que ça se fait, parce que c’est recommandé, parce que beaucoup de gens le font, parce que c’est normal. Et alors, passoire sur la tête, apercevant au loin un humain sans passoire, ma mère aurait dit : il marche le crâne à l’air, et ça ne se fait pas. Et mon père aurait dit : c’est vrai, ce n’est pas bien. Et mes parents auraient remis en place la passoire sur leur voûte crânienne, et ma passoire sur la mienne. Et ils seraient allés jusqu’à défendre le port de la passoire, car ils étaient si dépendants du mécanisme général qu’ils allaient jusqu’à le défendre, et peu importe sa logique. »

« Il suffisait qu’une personne raconte une douleur pour qu’elle dise : c’est fort ou ça me parle, ou les deux, ça me parle, c’est fort, suivi d’un silence, puis elle ajoutait : très fort. […] Sans raison, j’ai cherché à déterminer les zones épistémiques lui faisant prononcer les mots : c’est fort, pour voir. Un récit personnel d’enfance dans lequel il serait question d’une douleur minuscule ou même ridicule pouvait-il la pousser à prononcer, par réflexe et par habitude, ses deux mots préférés ? Je la testais. Et, avec un air grave, je lui racontai la manière dont je m’étais planté une épine microscopique dans le pied quand j’avais huit ans, et la difficulté que j’avais eue à la retirer, et j’avais accordé mon visage à l’idée de douleur, de traumatisme. Et Nia avait qualifié mon récit de fort, puis, après un silence, de très fort. »

Les Forces est une sorte de roman d’apprentissage inversé qui conduit moins vers une révélation qu’il ne confronte aux recoins les plus sombres de l’existence, ceux où le sens se dérobe. C’est éreintant, mais séduira celles et ceux qui apprécient l’audace formelle et qui sont prêts à voir leurs évidences bien secouées.

Merci beaucoup à l’éditeur et à NetGalley de m’avoir permis de découvrir ce texte avant sa parution !

Lu en août 2025 – Éditions du Sous-Sol, 22,50€

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