Cher connard, de Virginie Despentes (Grasset, 2022)

« Cher connard,
J’ai lu ce que tu as publié sur ton compte Insta. Tu es comme un pigeon qui m’aurait chié sur l’épaule en passant. C’est salissant, et très désagréable. Ouin ouin ouin je suis une petite baltringue qui n’intéresse personne et je couine comme un chihuahua parce que je rêve qu’on me remarque. Gloire aux réseaux sociaux : tu l’as eu, ton quart d’heure de gloire. La preuve : je t’écris. »

Ainsi se noue l’échange épistolaire entre Rebecca et Oscar. Elle est une sublime actrice quinquagénaire. Il est un écrivain qui vient de se faire metooïser par une blogueuse féministe.

Leur gouaille promettait des échanges percutants, tonifiés par la plume féroce de Virginie Despentes. Et pourtant, leur correspondance prend un tour inattendu. À l’heure où il semble devenu impossible de s’entendre quand on évolue dans des « bulles » différentes, la franchise de ces missives devient un roc auquel Oscar et Rebecca s’accrochent dans la tourmente que chacun traverse. Ils évoquent leur famille et leurs amitiés distendues, la littérature et le cinéma, Me Too et les Narcotiques Anonymes. Et réalisent qu’ils partagent plus qu’ils ne le pensaient : le sentiment de vulnérabilité de ceux qui ont échappé à leur condition sociale, une addiction aux substances et à la reconnaissance, une fragilité à la hauteur de la crânerie qu’ils affichent vis-à-vis du reste du monde.

J’éprouve toujours de la tendresse pour les personnages de Virginie Despentes. La nouvelle génération de féministes laisse Rebecca un peu circonspecte, mais elle n’a pas envie de plaindre Oscar. Elle l’écoute néanmoins, le comprend, lui dit les choses sans détour. Lui semble sincèrement pris de court : de même que le protagoniste du roman Le voyant d’Etampes se pensait au-dessus de tout soupçon de racisme, lui qui s’engagea à gauche et dans la marche des beurs, Oscar est un homme de gauche qui trouve « important que la parole circule » et n’a jamais été physiquement violent. La franchise bienveillante de Rebecca le conduit à réaliser ses failles – et réciproquement. Leur échange, c’est un peu l’antithèse d’Instagram : des mots qui disent les faiblesses et l’entraide.

La voix de Zoé, et par elle celle des victimes, fait incursion comme une ponctuation sous la forme de billets de blogs.

Cher connard parvient ainsi à concilier la dénonciation de la violence des réactions à Me Too et le réconfort de montrer comment l’amitié, l’écoute peuvent accompagner une prise de conscience libératrice pour tout le monde et permettre de se sentir un peu moins connard. Voilà qui donne envie d’échanges, de mots alignés sans limite dans de longs échanges écrits.

Un roman un peu trop bavard mais d’une douceur surprenante.

Extraits

« Poussin, j’imagine que tu te doutes que t’es pas le premier à me signaler que je suis une bombe, ni à remarquer que je suis connue…
Mais j’avoue, t’es le premier à avoir l’audace de m’insulter comme une ordure et d’enchaîner, sur le même élan, avec ce couplet « on vient du même quartier, on a des souvenirs en commun. »
À ce stade de la compétition, ta connerie force le respect. »

« Les personnages publics, nous sommes comme des poteaux sur un trottoir. Les gens viennent accrocher quelque chose sur toi, ou te pisser dessus, ou s’adosser, se recueillir ou vomir. Ils font ce qu’ils veulent. L’important, c’est que ton poteau soit dans une rue passante. »

« Déjà « viol », ça ne veut rien dire – il y a quarante-cinq nuances pour décrire le bleu et t’as un seul mot pour décrire le viol. »

Lu en août-septembre 2022 – Grasset, 22€

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