Les Sources, de Marie-Hélène Lafon (Buchet Chastel, 2023)

Marie-Hélène Lafon extrait la substantifique moelle d’une histoire familiale comme elle sait si bien le faire, la condensant autour de trois actes – 1967, 1974, 2021 – qui se suffisent à eux-mêmes et en pointent les sources. Comme dans ses livres, précédents, les existences s’inscrivent de manière presque organique dans un décor de foins et de bêtes, celui des petits agriculteurs du Cantal, qui semble façonner le caractère et l’horizon de chacun.

Une femme s’active sans repos mais ses gestes sont lourds. Ses spirales de pensée voient surgir souvenirs et regrets dans le fil des préoccupations prosaïques du quotidien.

Chaque mot, chaque virgule comptent chez cette autrice. Avec une grande retenue mais pourtant une intensité folle, ils nous précipitent dans le nœud d’un drame silencieux, disant l’enchevêtrement de la tendresse d’une mère pour ses trois enfants, son orgueil de propriétaire d’une belle ferme dont chaque parcelle semble néanmoins sous l’emprise de l’homme, la fragilité d’un corps couturé par les maternités, le sentiment de responsabilité, la terreur de sauver les apparences, le fossé qui se creuse vis-à-vis des autres.

J’admire la subtilité avec laquelle Marie-Hélène Lafon évoque la tectonique des relations familiales. La présence aimante et protectrice de la mère de la protagoniste est particulièrement belle. J’aime aussi les soudains renversements de perspective qui éclairent le récit sous un jour inattendu dans les actes II et III et permettent de boucler sereinement le récit. On mesure la force avec laquelle le tournant marqué par les années 1960 pour la condition féminine s’est imprimé dans certaines existences individuelles. Et on réalise qu’heureusement, dans une famille, tout ne se transmet pas.

Lu en mars 2023 – Buchet Chastel, 16,50€