Pallas, tome 1 : Dans le ventre de Troie, de Marine Carteron (Le Rouergue, 2023)

Voilà un projet herculéen et sacrément culotté : proposer un contre-récit de la mythologie grecque s’appuyant sur ses propres sources (dument listées en fin d’ouvrage) mais développant une perspective aussi nouvelle qu’éclairante, celle des femmes. Le fil d’Ariane de ce récit de blessure, de colère et de vengeance est Pallas, sœur de lait d’Athéna. Un peu comme Pierre Bayard pointe les incohérences des enquêtes d’Hercule Poirot et parvient à nous convaincre de sa solution alternative, Marine Carteron recoupe les textes, sélectionne certaines séquences et offre une lecture passionnante des enchaînements qui ont mené à la guerre de Troie.

« Éclairée par la lune, la grande plaine d’Ilion semble couverte d’argent. Dans la lumière laiteuse, les profonds fossés creusés par les hommes autour de la ville sont emplis de ténèbres d’où des piques acérées émergent comme des canines.
Au-dessus de ces bouches sombres prêtes à dévorer les pattes des chevaux, les murailles se dressent ; surhumaines, étincelantes. »

Sa plume vive fait merveille. Elle compose un texte envoutant et réjouissant, entre saga addictive et chant polyphonique, qui concentre tout ce qui a fait le succès de la mythologie grecque depuis des millénaires – la rencontre du trash, du suspense et de la poésie, le côté feuilleton avec ce qu’il faut de cliffhangers, de trahisons et de rebondissements (ben oui, Pallas rime avec Dallas !), des dieux outranciers qui lorgnent d’un œil désintéressé sur les humains, des dialogues désopilants et un style plein de peps qui se lit merveilleusement à voix haute (j’ai testé !), comme naguère les mythes.

« – Poséidon n’est pas encore arrivé ? se contente-t-elle de lui répondre.
– Non… tu l’aurais repéré à l’odeur… et puis, tu le connais, mon frère aime soigner ses entrées. Il arrivera à la dernière seconde, nimbé de lumière et tout le tralala. On aura déjà de la chance s’il ne se fait pas précéder de ses tritons soufflant dans leurs conques…
– Des tritons ? En pleine forêt ? sourit Athéna.
– Oui, certes, reconnaît Héra, pas les tritons, mais pour le reste, tu vas voir…
Comme pour donner raison à sa sœur, Poséidon franchit le cercle de verdure au moment précis où la lumière perce entre les branchages. Les rayons de l’aube tombent autour de lui comme mille lances et les oiseaux tous ensembles se mettent à pépier. »

Les voix de Héra, Électre, Thétis, Hésione, Pallas, Athéna et tant d’autres donnent aux mythes des accents féministes contemporains qui m’ont donné l’impression de les redécouvrir alors que, vraiment, tout (ou presque) y était déjà.

Les incollables de la mythologie grecque prendront grand plaisir à décrypter les clins d’oeil et à découvrir des séquences moins célèbres ; les néophytes trouveront dans ces pages une introduction splendide qui leur donnera sans nul doute envie d’aller plus loin.

Nous voilà médusés ! Rares sont les livres qui tentent tous les membres de la famille, des enfants aux grands-parents en passant par le frérot qui finit sa thèse. Vous l’aurez compris, il n’est pas question de renvoyer la lecture de la suite aux calendes grecques, nous serons sur les rangs pour lire le tome 2, au mois de novembre !

Autres extraits

« Le gardien réfléchit. Un effort dont il n’a pas l’habitude. Briarée a peut-être cinquante têtes mais guère plus de matière cervicale qu’un nouveau-né. »

« Mais ? Tu n’écoutes pas les prières qu’on t’adresse ?
– Mon époux s’occupe suffisamment des humains pour nous deux, grogne Héra pour toute réponse. »

Lu en août 2023 – Le Rouergue, 16,90€

3 commentaires sur “Pallas, tome 1 : Dans le ventre de Troie, de Marine Carteron (Le Rouergue, 2023)

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  1. Merci pour la découverte ! Ta critique attise ma curiosité. J’avoue qu’il y a tant de réécritures de la mythologie dernièrement que cela devient difficile de faire le tri. Et celui que j’ai testé (Hadès) m’a complètement laissé sur le côté. De fait, je note celui-ci 😉 qui devrait aussi plaire à mon ainé.

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